Ecoutera-t-on sans que ce soit pour nous "parole d'évangile" :
Prenant du pain et rendant grâce, il le rompit, le leur donna et dit :
- Ceci est mon corps qui va être donné pour vous...
Ecoutera-t-on à un autre bord de l'espace et du temps, cette autre parole :
Chacun de vous a la hauteur et la profondeur de l'éternité, de façon réelle en ce corps (1).
Insolence de mettre en résonance ce corps-ci et ce corps-là ?
Insolence de rapprocher une phrase réentendue deux mille ans durant, ferment de vie de milliards d'êtres humains, et des mots prononcés à la volée il y a seulement quelques décades par celle dont bien peu en occident connaissent même le nom : Anandamayi (la saturée de joie) ou "Ma" (la mère) ?
Insolence d'entremêler la vie fulgurante d'un jeune homme qui, de siècle en siècle, nous trouble et nous re-(s)suscite et la longue vie navigante d'une femme née dan un hameau du Bengale il y a à peine plus d'un siècle et qui se laisse bercer par toutes nos approches ?
Insolence d'entrelacer des continents culturels, des temps différents, le Mystère de Jésus, qui même pour les non-chrétiens est incomparable, et un autre Mystère ? Mais est-ce un autre Mystère ? Y a-t-il un autre corps que ce corps ? Y a-t-il un esprit et un autre corps ?
Cet esprit dont je veux parler est sans mot,
un et un unis,
où nudité s'enflamme contre nudité,
dans l'étreinte de la haute unité
qui tout anéantit dans le pur être.
Ainsi chante Maître Eckhart dans les temps médiévaux. Il dit encore :
comme deux abîmes
se fondent par similitude.
Voilà proposée une mise en abîme entre des paroles millénaires à la jeunesse fracassante, et d'autres paroles survenues il y a peu.
Voilà proposée un jeu entre il et elle...
Insolence ?
Jean-Claude Marol
(1) : Anandamayi se nommait ainsi elle-même : Eï Sharir (ce corps).
Dans les Evangiles, on voit Yeshoua (1) sans cesse entouré de "Ma..." : Marie, Marie-Madeleine, Marie Jacobé...
Certains croient même qu'il ne parle que pour elles et en éprouvent quelques jalousies (2).
Comment s'étonner alors que deux millénaires plus tard, on mette en résonance le Logos et la Sophia, un homme et une femme à l'écoute d'une Présence qui à la fois les unit et les différencie ?
"Ma" et Jésus témoignent de l'Unique Réel, toujours le même, toujours un autre :
"Il était. Il Est. Il vient."
Jean-Yves Leloup
(1) : Jésus, en hébreux.
(2) : Pierre et André, d'après L'Evangile selon Marie, texte copte du IIe siècle, J-Y Leloup, éd. Albin Michel, 1997.
Il : Jésus de Nazareth (0-33?)
Elle : Anandamayi Ma (1896-1982 après J.-C.)
Il, Elle...
Un homme, une femme.
Deux êtres fulgurants.
D'un pas vigoureux, ils ont parcouru
les routes de l'Inde, de la Palestine,
bouleversant d'innombrables coeurs...
Qui peut prétendre les connaître ?
Dans Aperçus de la vie de Anandamayi Ma, Bithika Mukerji confie :
"Oui... Peut-être étions-nous trop proches pour mesurer sa grandeur.
Qui, par exemple, prit vraiment la pleine mesure du Christ de son vivant ?
Les douze ne se sentaient pas si sûrs d'eux..."
Et nous aujourd'hui, le sommes-nous ?
Il, Elle...
Nous avons lu et écouté leur parole.
Et nous avons été les premiers étonnés.
Sous nos yeux, par-delà les siècles, les distances, les différences de cultures, apparaissaient une troublante résonance, une étrange ressemblance...
Attentifs aux similitudes, aux affinités, nous n'avons pas cherché à être exhaustifs.
Devant nous, les paroles se sont choisies, entremêlées librement.
Et ce qui s'est proposé n'était pas :
un "choix de textes", un "livre de sagesse",
mais plutôt un dialogue, une complicité,
le mystère de la rencontre.
Frances Delbecq et Thierry Cazals