Extrait
chapitre
numéro
0

Introduction

En compagnie de Mâ Anandamayi, trad. de l'anglais par Jacques Vigne
Lyon : Terre du ciel, 1996

INTRODUCTION

du Traducteur à l'édition française

Le titre original du livre de Bhaiji est Matri darshan, " Le darshan de la Mère ". Ce mot darshan nous met d'emblée au cœur de la culture hindoue et de la tradition qui guide les relations entre maître spirituel et disciple. Darshan signifie " le fait de voir ". Cela peut vouloir dire la vision de Dieu, événement ardemment recherché dans la voie dévotionnelle (bhakti). Un exemple célèbre en est la vision qu'Arjuna eut de Krishna sous sa forme cosmique, au chapitre XI de la Bhagavad Gîtâ. En fait, le vrai darshan ne consiste pas seulement à aller visiter un guru, il consiste à voir sa nature réelle; il n'est à la portée que d'un petit nombre.

Le principe qui sous-tend le darshan est le même que celui qui est à la base de la méditation: " On devient ce qu'on regarde ". Un échange verbal avec le maître spirituel n'est pas indispensable, comme il peut l'être avec le psychothérapeute par exemple. L'idéal du guru hindou est Dakshinâmûrti, le sage adolescent qui enseigne des vieillards disciples par le silence.

Ce livre est un document qui nous aide à nous représenter Mâ, à avoir son darshan. Nous lui avons donné comme sous-titre En compagnie de Mâ Ânanda Moyî, pour exprimer simplement ce qu'il contient, c'est-à-dire le témoignage de Bhaiji (1880-1937), un disciple très proche de Mâ (1896-1982). C'est lui qui lui a donné son nom d'Ânanda Moyî, " pénétrée deJoie ".

Du point de vue technique, pour la traduction je me suis simplement fondé sur l'édition anglaise, bien que j'aie lu l'édition hindi en entier et que je m'y sois référé en cas de doute, ou pour mieux comprendre certaines paroles de Mâ, parfois elliptiques. Avec l'aide d'un disciple de Mâ, j'ai même éclairci deux ou trois points d'après l'original bengali. En effet, le vocabulaire religieux est en général le même en sanskrit, en hindi et en bengali. Le texte intégral a été traduit, bien que j'aie été amené à transformer certaines phrases qui étaient dans un style trop lourdement hindou. Il est important de pouvoir présenter ainsi au public français un document de première main sur une relation authentique entre maître spirituel et disciple dans l'Inde de notre siècle; un tel contact direct entre les cultures favorise l'évolution des esprits.

Quel a été le rôle de Mâ Ânanda Moyî dans la spiritualité du XXe siècle ? Pour les hindous, et en particulier pour les brahmine bengalis qui l'avaient appelée de leurs prières, elle est une descente du Divin venue redonner de la vigueur au Dharma en des temps troublés. Krishna dit à ce propos dans la Bhagavad Gîtâ: " A chaque fois que le dharma (justice, religion) décline et que l'adharma s'accroît, pour la protection de celui qui est bon, la destruction du méchant, et pour l'établissement d'une justice stable, je renais cycle (yuga) après cycle. " (IV-7,8) Pour de nombreux Occidentaux, Mâ a représenté et représente une aide puissante sur le chemin spirituel.

Mâ parle d'elle-même en disant " ici ", ou " ce corps "; souvent, alors que " ce corps " était bien malade, elle disait qu'elle ne souffrait pas, qu'elle constatait juste des transformations dans l'organisme. Pour elle, contrairement à la vision matérialiste habituelle, ce n'est pas la conscience qui est un produit du corps, mais plutôt l'inverse. La Conscience fondamentale a choisi de s'incarner dans un corps qui n'était qu'un instrument, et que les gens, à commencer par Bhaïji, ont appelé Mâ Ânanda Moyî. Cet aspect non-personnel de Mâ est renforcé dans le texte anglais, et surtout hindi, par les tournures grammaticales courantes, qui utilisent des formes passives; à la place de dire " j'ai faim ", on dira " à moi la faim est associée "

(mujhé bhukh lagti hê). Souvent même, en langage courant, " à moi " sera omis.

Pour mieux apprécier l'ouvrage de Bhaïji, il faut connaître quelques bases de la religion au Bengale. La voie dévotionnelle y a été marquée par Chaitanya Mahâprabhu (1486-1533), qui s'est fait l'apôtre de l'amour divin entre Krishna et ses fidèles. Il a particulièrement insisté sur le madhura-bhâva où l'âme humaine est assimilée à Râdhâ, I' amante de Krishna. C'est le cinquième niveau du sentiment qui relie à Dieu, le premier étant celui de serviteur (dasa), le second celui de fils envers son père (apatya), le troisième celui d'ami (sakhya), et le quatrième celui d'une mère envers son enfant (vâtsalya). Ces sentiments s'expriment particulièrement au moment des chants religieux (kîrtan) accompagnés de danse et d'états émotionnels et spirituels intenses (bhâva). Ces états peuvent amener à une extase spontanée qui en général ne dure pas (bhâva-samâdhi). Le savikalpa et le nirvikalpa-samâdhi; étant provoqués par la pratique de la méditation sont en général plus durables. Les états intérieurs de la bhakti culminent dans le mahâ-bhâva, I'union complète avec le Divin. Mâ emploie souvent ce terme. Du point de vue technique, on indique, dans l'école de Chaitanya, une série de symptômes physiques et émotionnels permettant de discerner un mahâ-bhava authentique d'une simulation.

L'autre influence religieuse majeure au Bengale est le Shaktisme, le culte de la Mère divine. Cette Mère peut s'incarner sous forme humaine, et c'est ainsi que de nombreux Bengalis voyaient Mâ Ânanda Moyî. Bhaiji a composé une hymne en ce sens, qu'on trouvera en conclusion du chapitre VII, " Ashram ": " Gloire à toi, Shri Mâ Ânanda Moyî, hôte éternel et sacré de nos coeurs !... " Cette hymne est chantée matin et soir, au début des kîrtan, dans les âshram de Mâ. On trouvera aussi un hymne à Ma dans une autre partie du site (Jay Ma; no 47)

Mâ elle-même n'attachait pas une si grande importance à ses extases visibles pendant les kîrtan. Elle dit clairement (cf. chapitre III: " Le pouvoir des états émotionnels "): " C'est votre désir fort de voir ce corps en état de samâdhi qui fait que ces symptômes se manifestent de temps à autre. " Plus tard, quand Mâ a résidé en dehors du Bengale, ces états ont complètement disparu. Mâ voulait montrer le chemin de la libération, mais le public n'avait pas nécessairement cette demande de manière profonde; elle aurait pu dire, à la manière de Sai Baba de Shirdi quand il faisait des miracles: " Je leur donne ce qu'ils me demandent, en attendant qu'ils me demandent ce que je veux leur donner. "

Certains pourront penser que la dévotion à la Mère divine est trop sentimentale, " à l'eau de rose " comme on dit familièrement: mais quand on lit les textes qui se rapportent à son histoire (Shrîmad Devî Bhâgavatam, appelé aussi Devî Purâna), on s'aperçoit que cette Mère a également des aspects violents, et qu'elle est fort occupée, en particulier sous son aspect de Kâlî, à couper la tête des gens. Mâ elle-même savait faire peur aux gens quand il le fallait; même si elle ne sanctionnait personne directement, les gens autour d'elle qui s'écartaient du droit chemin savaient qu'ils pourraient rencontrer des difficultés, comme par exemple tomber malade.

En se concentrant sur une sage et en voyant en elle la Mère parfaite, ne risque-t-on pas d'augmenter une réaction de l'inconscient dans un sens négatif, par un phénomène qu'on appelle en Occident, à la suite de Jung, le phénomène de l'ombre, ou par la loi des dvandva, des paires d'opposés si l'on suit le vocabulaire indien ? Cela est évident au niveau de l'aspirant spirituel, et son rôle sera d'éclairer progressivement cet aspect " ombre " en lui-même par la méditation et l'habitude d'une vie pure. Le sage, quant à lui, est dvandvâtîta, " au-delà des contraires ". En un sens, on peut dire qu'il ne voit plus l'ombre, non pas par inconscience, mais par compassion. C'était le cas de Mâ, c'était aussi le cas d'un maître zen dans l'anecdote suivante: " Un maître attirait des foules de disciples par son enseignement. Un jour, on surprend dans l'assemblée quelqu'un en train de voler. On demande au maître l'expulser, mais celui-ci ne veut pas. Le voleur reste donc à écouter les discours. Une seconde fois, on le prend la main dans le sac. Cette fois-ci, tout le monde signe une pétition écrite au maître pour demander d'expulser le malfaiteur. Le maître refuse à nouveau et s'explique ainsi: "Vous tous, vous savez distinguer clairement le bien du mal; il a donc plus besoin de mon temps et de mon attention que vous; il peut rester ici, et vous, vous pouvez vous en aller."

Un autre aspect du témoignage de Bhaiji qui peut mettre un lecteur occidental mal à l'aise, c'est sa facilité à interpréter tout ce qui lui arrive comme venant de Mâ. Pour clarifier, il est utile de distinguer deux interprétations: I'interprétation pathologique, comme celle du paranoïaque interprétant tout dans un sens négatif; I'interprétation mystique, au contraire, qui voit tout dans un sens positif, comme une grâce de Dieu, ou ici, du guru. Les chrétiens ne manquent pas d'insister sur la nécessité pour le mystique de voir l'action de la Providence dans les moindres détails de la vie quotidienne. C'est aussi ce que fait Bhaiji; de plus, il sait par de nombreuses expériences qu'il décrit dans son livre que Mâ possède la faculté de voir et d'agir à distance, ce qui renforce ses possibilités d'interprétation.

Mâ a eu le pouvoir d'éveiller l'amour divin en Bhaïji, comme en bien d'autres par la suite, ce qui explique l'émerveillement de celui-ci. Cette relation intense entre maître et disciple n'est guère développée dans le christianisme habituel; on peut sans doute rapprocher ce fait de la fréquence avec laquelle les auteurs spirituels chrétiens parlent de la sécheresse de l'âme, des souffrances sur la voie intérieure, de la traversée du désert, etc. Les rapports avec une communauté, même s'ils atténuent la solitude du moine, sont en fin de compte décevants car fondés sur la somme des egos de ses membres et leurs rapports personnels. On ne peut rencontrer la perfection dans un groupe, alors qu'on peut la rencontrer dans une personne, rarement certes. Dans une relation, il faut que l'un des deux participants soit solidement établi dans l'impersonnel pouvoir élever l'autre à ce niveau.

Pour bénéficier de cette qualité d'amour du maître spirituel, une certaine capacité au silence et à la méditation est importante. Par contre, trop de paroles est nuisible. Certains intellectuels occidentaux ont ainsi " manqué " leur relation avec Mâ. Ils auraient voulu remuer avec elle de grandes idées sur la psychanalyse, etc. ou pouvoir s'asseoir et lui parler indéfiniment de leurs problèmes psychologiques comme on le fait avec un thérapeute. Bien que Mâ se soit engagée de temps en temps, par compassion, dans de longues conversations, ce n'était pas la bonne manière d'être en relation avec elle à long terme. D'autres sages, comme Râmana Mahârshi étaient encore plus silencieux que Mâ.

L'aspect émotionnel de la bhakti n'est pas si étranger à l'Occident moderne qu'il y paraît: dans le domaine religieux, il y a un réveil de l'utilisation des émotions au sein des mouvements pentecôtiste et charismatique. Dans le champ de la psychologie, les thérapies émotionnelles ont eu un certain succès, bien que leur volonté de faire ressortir la souffrance et les aspects négatifs de l'être à tout prix soit a priori étrangère à la bhakti. En tous les cas, de nombreuses personnes en Occident ressentent le besoin d'un retour des valeurs féminines, de l'anima disent certains, et ce livre pourra contribuer en profondeur à cette évolution.

Bien que j'aie dit qu'il ne s'agissait pas de parler de psychologie avec Mâ, il n'est pas inutile, pour un public occidental, de mentionner rapidement en termes de psychologie moderne certains mécanismes psychiques qui contribuent à l'efficacité de la bhakti - sans pour autant tomber dans un quelconque réductionnisme. Le mécanisme de base est le transfert, cet amour pour celui qui aide, qui met en branle les couches profondes de l'être. Un autre mécanisme est la réparation de la carence affective primaire: celle-ci était évidente chez Bhaïji, il le reconnaît lui-même d'emblée. Dès la première page de son introduction, il dit qu'il a perdu sa mère dans sa petite enfance et que le simple fait d'entendre un autre enfant appeler " maman " lui remplissait les yeux de larmes. Mâ s'est appuyée sur ce besoin intense de mère qu'il avait pour stimuler en lui un désir ardent pour le Divin. Bhaiji n'a pas manqué d'être critiqué par toute sa famille, à commencer par son épouse, pour cet attachement extrême envers Mâ, une femme de quinze ans de moins que lui. Pourtant, il disait que ce lien, pour lui, représentait la libération. De plus, la projection maternelle massive qu'il faisait sur elle engendrait un interdit œdipien qui bloquait à la base une possible expression amoureuse de sa relation avec Mâ. Cet interdit œdipien est en fait bien connu de la tradition indienne, qui conseille, pour ceux qui veulent transmuter la force sexuelle en énergie spirituelle, de voir en chaque femme la Mère divine. On peut aussi critiquer l'attachement de Bhaiji envers Mâ en disant qu'il s'agissait d'une régression. Mais, à considérer sa vie, on constate qu'elle n'était pas spécialement " régressive ": il était assistant du Directeur de l'Agriculture à Dacca, un Anglais; cela signifie qu'il occupait sans doute un des plus hauts postes qu'ait pu briguer un Indien dans le système colonial. De plus, il avait une situation matérielle aisée, qu'il savait gérer; malgré son conflit avec son épouse à propos de Mâ, il a gardé avec elle des relations de respect mutuel et il a assuré ses responsabilités familiales jusqu'à l'âge de la retraite environ, après quoi il partit avec Pitâjî et Mâ pour les quelques années qui lui restaient à vivre. Il parle de cela en toute simplicité dans une post-face à l'édition hindie.

A la veille de terminer la traduction de cet ouvrage, je me suis aperçu que l'anniversaire de la mort de Bhaiji se trouvait être le lendemain. J'ai donc terminé mon travail de traduction à cette occasion. Pour donner une idée de l'évolution de Bhaiji après la rédaction de son livre, je vais citer Mâ elle-même qui raconte comment, quelques semaines avant sa mort, il a été saisi par l'esprit de renoncement en parvenant avec elle et Pitâjî sur les bords du lac Mansarovar, au pied du Mont Kailâsh, le lieu de pèlerinage le plus prestigieux aux yeux des hindous (Gurupnyâ Devi, Shri Shri Mâ Ânandamayî, édition anglaise, vol. V, p. 93)/

" Bhaiji avait jeté ses vêtements dans le lac Mansarovar au moment de prendre son bain. Pitâjî, qui était avec lui, avait dit de ne pas faire cela et de les reprendre immédiatement. Quand j'arrivai, il vint se prosterner et me dit: "Mâ, je souhaiterais passer les quelques jours qui me restent à vivre dans une grotte. S'il vous plaît, dites à Pitâjî que je vais partir tout de suite. Laissez-moi m'en aller maintenant, donnez-moi votre autorisation." J'observai que l'esprit de renoncement (avadhûta bhâva) s'était manifesté en lui. Je pus aussi voir que son état intérieur (bhâva) était très beau et très intense. En percevant cet état élevé, je lui dis: "Maintenant, viens avec moi." Il resta silencieux.

" Il marcha à mes côtés et dit ensuite: "J'ai une demande à vous formuler: si vous acceptez, je vais observer le silence à partir de maintenant." Je répondis: "Non, il ne serait pas bon d'observer le silence au beau milieu du voyage." Comme nous continuions à cheminer, je lui dis: "A partir d'aujourd'hui, tu as acquis cet esprit de renoncement et tu désires aussi observer le silence: ton nom sera Maunânanda Parvat "."(maun signifie silence)"

Ce corps se mit à aller et venir en se promenant de long en large et en regardant les bords du lac Mansarovar. Comme d'autres mantra peuvent sortir spontanément, ce corps se mit à réciter de lui-même le mantra du sannyâs (renoncement) tout en étant immergé dans un état de conscience (bhâva) différent. Pendant ce temps-là, je remarquai que Bhaiji me suivait de près. Il courut pour rejoindre ce corps, tomba à ses pieds et dit: "Mâ, c'est le mantra du sannyâs: je l'ai atteint !" et il resta à mes pieds dans un état d'exaltation. Il offrit la cordelette sacrée (le signe distictif des brahmanes), ses rosaires et tout le reste aux pieds de ce corps et commença à réciter le montra; il se rendit au bord du lac, accomplit des rituel et offrit sept ou huit fois de l'eau à ce corps dans le creux de ses mains. Depuis ce jour, il récita continuellement, en japa, le mantra du sannyâs, et resta dans cette disposition d'esprit (bhâva) tout au long de sa maladie'. "

Quelques semaines plus tard, le groupe de pèlerins du Kailâsh est de retour à Almora. Bhaiji est de plus en plus faible, et finalement son dernier jour arrive; là encore, je fais appel aux carnets de Gurupriyâ Devî qui raconte le déroulement des événements dans un style simple et touchant:

" Le médecin essaya, en désespoir de cause, des injections de soluté de sels minéraux et de nombreux autres remèdes. Il finit par abandonner la partie et dit: "Le pouls est tout aussi faible qu'avant. Maintenant, Mâ est le seul espoir !" Je pleurais et fis appel à Mâ, Hariram pleurait également et pria Mâ, mais celle-ci fit un signe (elle observait le silence) pour dire: "Rien ne vient". Elle s'assit près du patient et essuya la transpiration de son front. Quand nous comprîmes les pensées de Mâ, nous abandonnâmes aussi nos espérances. Bhaiji murmura"Hari bol, Hari bol" (dis:'Seigneur!') deux ou trois fois, puis il demanda: "Où est Mâ ?" comme s'il ne pouvait voir correctement. Lorsque nous lui avons indiqué où elle était, il la regarda et se mit à répéter continuellement: "Mâ, Mâ, Mâ". Ensuite, il chanta "Mâ, Ma, Ma" également, d'une voix à peu près juste. Ma était calmement assise et essuyait son front. Nous pleurions, et Ma me dit: "Récite le Nom". J'essuyai mes larmes et chantai le nom de Ma.

" Un peu plus tard, Bhaiji dit: "Comme c'est beau !" De nouveau, il s'exclama: "Khakuni (Gurupriya Devi) comme c'est beau !" Quelques instants après, il leva un doigt et dit: "Tous sont Un, il n'y a rien d'autre que l'Un." Hariram se remit à pleurer et s'écria: "Bhaiji !" Celui-ci répondit: "Un, tous sont Un. Médite là-dessus, frère. Un; tous sont un.'` Je dis: 'Bhaiji, repose en sécurité sur les genoux de Mâ.`'Il répliqua: Mâ et moi sommes un: Baba et moi sommes un; nous tous, sommes un. Il n'y a rien d'autre que l'Un". Il se mit alors à réciter le mantra du .sannyass très distinctement... Progressivement' il commença à perdre conscience. Il était sous la protection du regard et de la grâce de Mâ. Il quitta son corps à l'âge de cinquante-sept ans. C'était un grand être (mahâ-purusha) Quelques minutes avant qu'il ne quitte son corps, je l'avais déposé sur le sol (c'est ainsi que souhaitent mourir certains renonçants). Mâ touchait sa tête; elle était immobile, en samâdhi. Je dis à toute l'assistance de réciter le nom de Mâ. Pendant le chant, Bhaiji rendit son dernier souffle.

" C'est ainsi que, paisiblement, le grand être s'en est allé. Belle mort ! Quelques minutes auparavant, Mâ nous avait fait signe de tous quitter la pièce. Au bout d'une minute, elle nous avait rappelés à l'intérieur. Quand nous étions sortis dans la pièce, Bhaiji nous avait dit: 'Mâ m'a donné le signal pour m'endormir; je vais m'endormir."

Nous sommes à une période où il y a une floraison de mouvements et d'enseignants spirituels. Il est nécessaire que celui qui veut se développer dans ce domaine acquière une culture lui permettant de connaître les qualités qui font un maître spirituel, les devoirs qu'il a envers son disciple et que le disciple a envers lui. Ce discernement n'est guère enseigné, et c'est à chacun de l'acquérir par ses lectures. C'est dans ce but que j'ai rédigé mon premier livre, Le Maître et le thérapeute, qui donne un panorama de la relation de guru à disciple dans la tradition indienne. Ce livre de Bhaiji est un document de première main sur une relation authentique, et en ce sens il est précieux pour le public trançais d'aujourd'hui.

Je tiens à remercier Vijayânanda qui m'a suggéré de traduire ce livre. Il est disciple de Mâ Ânanda Moyî, vit depuis plus de quarante ans en Inde et il a passé neuf ans de retraite à Almora, tout près de la tombe (samâdhi) de Bhaiji. Il a vécu également sept ans à Dhaulchina, un ermitage dont le site, avec un panorama de quatre cents kilomètres de neiges éternelles, avait séduit Bhaiji lors du pèlerinage au Mont Kailâsh, et qui a été loué plus tard à long terme pour que des disciples de Mâ puissent y faire retraite.

Comme disait un disciple de Mâ après sa mort: " Mâ donnait à ceux qui venaient la voir un "cadeau d'amour". " Chez elle, l'amour est inséparable de la connaissance. Témoin, cette phrase qu'elle aimait dire et qu'on pourrait appeler, à la manière des Upanishads, une " grande parole " (mahâ-vâkya):

" Le Soi éternel, le pèlerin éternel, c'est Lui, Lui seul "