Chapitre Vl
MÂ ET SON JEU (LÎLÂ)
Ceux qui ont observé le visage resplendissant de Ma, avec son sourire toujours radieux, sa simplicité enfantine, son humeur joueuse et ses plaisanteries s'écoulant d'un cœur débordant de joie ont dû être fascinés. Toutes ses paroles et expressions, chacun de ses regards et de ses gestes sont pénétrés d'une douceur (madhura) sans égale. Un parfum divin émane de son corps, de chacune de ses respirations, de ses habits et de sa literie même. Quand elle chante, le cœur est empli de pensées et d'idées qui proviennent de la source la plus intime.
Complètement libre de tous les liens, elle vit une vie de détachement parfait. Comme le ciel serein, qui demeure loin au-dessus du monde et qui pourtant répand sa paix sur les choses d'ici- bas et se réfléchit aussi bien sur les lacs et les étangs que sur un bol rempli d'eau, Mâ enveloppe toutes les choses créées et les rapproche de plus en plus de son cœur. Elle reconnaît le jeu d'une vie absolue chez les gens de toutes les races et de toutes les croyances, en chaque animal et en chaque plante. Elle voit tous les êtres comme la manifestation d'une seule joie (ânanda) et elle les traite avec le même amour, le même respect et la même vénération. Sa vision n'est pas teintée par des différences entre supérieur et inférieur ou entre riche et pauvre.
Mâtâjî dit toujours: " Je n'ai rien de nouveau à voir, entendre ou dire. " Pourtant, nous remarquons que même les détails les plus banals semblent absorber son attention à un degré qui nous pousse à la comparer à une enfant fascinée par une jolie poupée.
Il n'y a pas de fin à ses lîlâ avec ses fidèles. Une fois, tout le monde voulait la voir habillée en Krishna enfant, puis adolescent. Ses fidèles se réunirent pour l'habiller. Il existe deux photos qui montrent les deux rôles différents. Il est frappant de voir les expressions de Mâ dans ces deux différents rôles. La beauté de son visage montre le charme de Krishna enfant et celui de jeune adolescent. Il est vraiment difficile de savoir de quelle source cachée provient cet éclat divin qui donne à son regard une telle tendresse, à son front une si grande paix, à son visage une douceur si pure et à ses membres une telle souplesse. C'est non seulement peu habituel, c'est vraiment extraordinaire: il s'agit d'une vision qui n'est pas de ce monde.
Il semblait que chaque cellule, chaque atome de son corps participait à son rire. Ceux qui étaient présents à ce moment-là pouvaient voir l'éclat d'une lumière sacrée qui illuminait son visage. On pourrait difficilement trouver chez un être humain un rire si pur et si sincère. Les photographies ne montrent qu'une petite partie de ces expressions, et encore bien imparfaitement.
En présence de Mâ, un sentiment de douceur sans précédent envahit le cœur des fidèles rassemblés. Quel que soit leur état émotionnel, ils expérimentent une joie (ânanda) et une pureté (nirmalta) hors de l'ordinaire. La vue de Krishna éveillait une affection maternelle chez Yashoda, des sentiments amicaux chez Sridama et Sudâmâ, et de l'amour (madhura-bhâva) dans le cœur des gopî. De même, les fidèles ont un darshan de Shrî Mâ qui dépend de leurs dispositions mentales.
Dès l'enfance, le jeu de Mâ débordait de vitalité (prânâ) et d'esprit. Si elle ne faisait pas partie du groupe, ses compagnes n'y trouvaient pas de joie. Tous ceux qui entrent en contact avec elle, que ce soient les enfants, les jeunes gens ou les personnes âgées, sont tellement sous le charme qu'ils demandent en partant: " Quand nous reverrons-nous ? " Où que soit Mâ, on dirait que se trouve aussi " le bazar de la joie " (ânand ka bazar). Une émotion (bhâva) nouvelle s'éveille chez des milliers de gens, qui se mettent comme à danser, saisis par ce sentiment divin; et puis, quand Mâ s'en va, l'endroit paraît complètement vide. On pouvait aussi voir des gens choqués par les cheveux défaits, les habits et les attitudes négligés de Mâ à cette époque. Bien qu'ils aient eu peur d'elle comme d'une folle, ils ne pouvaient dégager leurs regards de son aspect plein de douceur (madhur mûrti).
Dans son rire et sa conversation de tous les jours, on pouvait voir le déploiement d'une force extraordinaire et sans limite. Quand on lui posait des questions sur elle-même, elle disait: " Ce corps est toujours dans le même état, sans aucun changement. Ce n'est que votre attitude qui vous pousse à considérer un aspect particulier comme étant ordinaire ou extraordinaire. " Elle ajoutait: " L'univers est un jeu divin, vous avez le désir de jouer et donc vous êtes attirés par le rire et le côté joueur de ce corps. S'il avait pris une pose grave et immobile, vous ne seriez pas venus vers lui. Apprenez à jouer d'une manière très belle le jeu de la joie (ânanda ka khel); ainsi, dans le jeu même, vous atteindrez le sommet du jeu. Comprenez-vous ? " On appelle extraordinaire ce qui est au-delà de l'expérience d'une personne ordinaire. Celui qui a rassemblé toutes les pensées et émotions dans la joie de l'Atman non-duel, et s'y est dissous, voit cet Atman sous la forme de l'individu, de Dieu (Ishvara) qui régit l'univers, ou de l'absolu impersonnel (Parabrahman). Que peut-on dire en dehors de ces jeux de manifestation qui ont jaillis spontanément de son esprit ? Dans le corps de Mâ, il n'y a pas de trace de préférence ou de rejet. Parfois, certaines manifestations surnaturelles jouent leur rôle pour éveiller une intelligence réelle et des émotions pures chez les fidèles; parfois leur désir concentré, plein de foi, évoque l'attitude correspondante chez Mâ. Celle-ci répète souvent: " Ce corps est un instrument de musique; le son qui en sort dépend du rythme avec lequel vous en jouez. Je trouve que, dans tout l'univers, il n'y a qu'un seul jeu qui se joue. "
Le jour avant son départ de Ramna âshram, à Dacca, en juin 1932, à cinq heures de l'après-midi, Mâ était assise avec de nombreux fidèles dans le jardin pour partager le prasâd. Soudain, de sombres nuages envahirent le ciel et un orage commença avec des éclairs et des coups de tonnerre. Tous les assistants craignaient l'arrivée imminente de la pluie. Juste à ce moment-là, un autre groupe arriva et il s'assit également pour avoir le prasâd. Mâ demanda à ceux qui avaient fini de manger de s'en aller, mais elle-même resta sur place. Quand ils eurent tous terminé, elle se leva et dit: " Maintenant, je vais prendre un bain gratuit. " Beaucoup essayèrent de la dissuader de prendre un bain si tard dans l'après-midi, mais elle ne broncha pas quand il se mit à pleuvoir des cordes. Le jardin entier était inondé. Plongée dans un état de conscience extraordinaire (bhâva), Ma se mit à courir de-ci de-là dans toute cette boue et cette pluie. De nombreuses personnes âgées, des enfants et des jeunes gens s'assemblèrent sans se soucier de leurs vêtements et se mirent à chanter des kîrtan jusqu'à neuf heures du soir. Parmi eux se trouvaient des malades, qui n'eurent pas d'aggravation de leur état pour autant.
On voyait souvent Mâ arrêter d'un seul regard une averse, ou une dispute. Shrî Mâ, par tempérament, prend peu de nourriture, si peu qu'on a du mal à le concevoir. Dans la première phase de son existence, quand beaucoup de processus yogiques se manifestaient en elle, elle passait de nombreux jours à jeûner. Elle ne ressentait pas l'envie de manger tant que le processus yogique ne s'était pas arrêté. Pendant ces journées de jeûne complet ou partiel, elle avait un aspect gai, resplendissant, son corps était débordant de santé, et son esprit de gaîté.
Très tôt déjà, elle s'était mise à un régime léger. Une fois, elle passa cinq mois à ne prendre qu'une poignée de nourriture, et encore seulement vers la fin de la nuit. Pendant huit ou neuf mois, elle n'a pris que trois bouchées de riz durant la journée et trois pendant la nuit. Durant cinq à six mois, elle vécut d'un peu d'eau et de quelques fruits pris deux fois par jour. Il y avait des occasions où elle passait cinq à six mois en ne prenant qu'une petite quantité de riz, seulement deux fois par semaine; les autres jours, quelques fruits étaient suffisants.
Depuis 1926, elle ne pouvait plus manger de ses propres mains. A chaque fois qu'elle essayait de porter de la nourriture à sa bouche, elle lui échappait en lui glissant entre les doigts. Cela n'était pas dû à une maladie quelconque. A ce moment-là, on décida que la personne qui la nourrissait ne lui donnerait que la quantité de nourriture que l'on peut prendre entre deux doigts, une fois pendant la journée et une autre fois durant la nuit. Cinq ou six mois s'écoulèrent de cette manière. Tous les deux jours, elle buvait aussi une petite quantité d'eau. Pendant cinq ou six mois, elle prit trois grains de riz bouilli le matin et trois grains dans la soirée; elle ajoutait deux ou trois fruits mûrs qui étaient tombés des arbres naturellement. Parfois il arrivait que la nourriture puisse juste toucher ses lèvres avant de retomber. Pendant deux ou trois mois elle mangea autant de nourriture qu'on pouvait lui en mettre dans la bouche en l'espace d'une respiration. Pendant huit ou neuf mois elle n'a pris que cinquante grammes de riz et de lentilles mélangés et bouillis dans un petit bol, sur le feu sacrificiel, ou un peu de soupe de légumes avec une petite quantité de riz bouilli. Pendant plusieurs jours d'affilée, elle vivait d'une petite quantité de lait ou d'un ou deux morceaux de chapati. On peut aussi ajouter que de nombreux jours de suite elle restait sans aucune nourriture.
Après avoir abandonné complètement la consommation de riz, elle ne pouvait même pas le reconnaître. Il y avait une servante de basse caste à Shahbag, qui mangeait du riz. Quand Shrî Ma vit cela, elle dit en souriant: " Que mange-t-elle ? Moi aussi, je vais manger avec elle ! " Un jour, elle trouva un chien en train de manger du riz; elle se mit à dire plaintivement: " Je veux manger, je veux manger ! " Quand on empêchait de telles impulsions, elle s'allongeait sur le sol comme une enfant qui boude. Une fois Shfi Ma dit d'elle-même: " Les gens essaient d'abandonner de vieilles habitudes. Mais ma manière de faire est à l'opposé: je trouve des moyens de revenir à mes vieilles habitudes. Vous devez me nourrir avec trois grains de riz bouilli tous les jours, sinon je perdrai l'habitude de manger du riz, de même que j'ai oublié l'usage de mes mains pour prendre la nourriture. "
Ceux qui la nourrissaient avaient à faire bien attention de ne pas lui donner une particule de nourriture en plus de ce qu'elle voulait. Ils avaient à mener une vie pure et contrôlée; ils devaient garder rigoureusement propres les ustensiles de cuisine et les plats. Sinon, elle ne pouvait avaler la nourriture, et soit son visage se détournait, soit elle quittait son siège automatiquement. Elle disait: " Il n'y a pas de différence entre ce corps et une motte d'argile. Je peux manger de la nourriture placée sur le sol ou n'importe où ailleurs de la manière que vous voulez; mais en ce qui concerne l'hygiène, I'observation de la propreté ainsi que des autres règles ou obligations sociales sont nécessaires pour votre éducation, c'est pourquoi ce corps les suit automatiquement. "
Pendant ces longues périodes où Mâ s'abstenait de prendre des quantités normales de nourriture, elle ne fuyait pas ses devoirs ménagers, et son corps ne perdait pas son charme naturel. Par la suite, peu à peu, toutes les activités de sa vie de famille se mirent à se relâcher. A chaque fois qu'elle tentait d'accomplir une tâche ménagère, son corps cessait de fonctionner et elle restait allongée sur le sol, complètement figée. Parfois, elle se brûlait les mains et les pieds au foyer de la cuisine, ou elle était blessée pour une raison ou une autre, mais elle ne se rendait pas compte de ces accidents.
Shrî Mâ dit: " Personne ne peut abandonner son travail par la force de sa volonté. Quand son karma est épuisé, tout travail cesse automatiquement. "
Depuis mai 1926, Mâ atténua petit à petit la rigueur des règles concernant son régime; mais la quantité qu'elle absorbait restait malgré tout extrêmement faible; on aurait dit une ration de petit enfant ! Quatre ou cinq ans après qu'elle ait arrêté de prendre de la nourriture de ses propres mains, certains fidèles exprimèrent leur vif désir de la voir recommencer à manger normalement. Suite à leur demande, elle accepta d'essayer et s'assit avec les plats devant elle: mais après avoir mis une pincée de nourriture dans sa bouche, elle en donna un peu aux autres et étala le reste sur le sol. Elle ne pouvait absolument pas manger. Après cela, personne ne lui demanda plus de manger de ses propres mains. Elle disait: " Je considère toutes les mains comme miennes; en fait, je mange toujours de mes propres mains. "
Dès sa prime jeunesse, tout le monde avait remarqué son habileté pour exécuter proprement les tâches ménagères, son art pour cuisiner et sa manière délicate de recevoir les hôtes. Quoi qu'elle ait pu faire, cela était fait à la perfection. Elle savait fort bien filer et tisser, ses travaux de couture, de broderie et de vannerie montraient un degré extraordinaire d'intelligence et de savoir-faire. Quand elle trouvait que les autres étaient bloqués à un stade de leur travail, elle venait à leur aide et se tirait d'affaire, à leur grande surprise, sans difficulté.Les plats qu'elle préparait étaient délicieux; c'est pour cela qu'on lui demandait de diriger la cuisine à chaque fois qu'une fête avait lieu.
Mâ prenait grand plaisir à distribuer de la nourriture à tout le monde, les grands comme les petits. Elle oubliait de s'alimenter elle-même et de se reposer pour satisfaire les autres. Une fois un sâdhu vint du Gujarât à Shahbag (Dacca). Avec le bord de son sâri, elle nettoya son siège et s'occupa de lui avec son humilité et sa douceur habituelles. Les plats qu'elle avait préparés étaient servis avec un soin si minutieux qu'ils semblaient être sanctifiés, pour ainsi dire, par son grand amour et son esprit de service pur de tout égoïsme. En partant, le sâdhu dit: "Aujourd'hui, j'ai été nourri par la Mère de l'Univers. Jamais de ma vie je n'ai été servi avec autant d'attention et de pureté. "
Aussi longtemps qu'elle l'a pu, elle a continué à faire la cuisine pour ses enfants -fidèles et à leur servir la nourriture avec une affection maternelle. Le prasâd reçu de ses mains éveillait une joie sans précédent dans leur cœur. Bien des incidents mystérieux se produisirent lors de la distribution du prasâd.Un jour, l'épouse de feu Niranjan Roy apporta des oranges à Shrî Mâ. Elle les distribua elle-même, car tous les gens présents s'exclamaient: " Je veux du prasâd des mains de Mâtâjî ! " Il y avait trop de monde pour trop peu d'oranges; mais les voies de Shrî Mâ sont insondables et chacun eut son orange sans qu'il en restât une seule. Une autre fois, il y avait un groupe de kîrtan chez Niranjan, à Dacca. On avait préparé de la nourriture pour environ cinquante ou soixante personnes, mais le nombre d'hôtes s'éleva à cent-vingt environ. Shri Mâ le remarqua et, jusqu'à la fin de la distribution, se tint dans la coin de la pièce où l'on gardait la nourriture. Quand tous eurent mangé, on trouva qu'il en restait encore.
Il ne manquait pas d'aliments et de vêtements qui soient offerts à Shrî Mâ et à l'âshram. Après avoir pris une petite partie de la nourriture offerte, ou avoir porté pendant une brève durée le vêtement ou la pièce de tissu qui venait d'être donné, elle distribuait tout dans l'assistance. Sur ce, elle se mettait à rire gaiement. Les gens lui offraient de précieux ornements d'or et d'argent, des bracelets en coquillage ou en verre, et bien d'autres choses. Parfois, ces ornements s'accumulaient sur ses avant-bras. Elle recevait tout objet, grand ou petit, précieux ou banal, avec une grâce égale; mais elle ne se souciait jamais de demander qui les avait offerts ou ce qu'ils devenaient par la suite. Beaucoup d'ornements étaient redistribués, et ce qui restait, d'une valeur de mille roupies environ, fut fondu et utilisé pour fabriquer des ornements pour les divinités de l'âshram.
Elle n'avait jamais plus d'un sârî de rechange; elle le donnait souvent, mais les circonstances faisaient qu'aussitôt après on lui en offrait un nouveau.
Quand j'allais à Calcutta, depuis Dacca, je descendais chez Shrî Jnadendra Nath Sen. Il était plus qu'un grand frère pour moi. Son épouse, Mme Hiranmayi Devî, me considérait comme son propre petit frère. On trouve rarement une simplicité si extraordinaire, tant de pureté, de dévotion au mari et un tact d'une telle délicatesse qu'il la rend chère aux visiteurs comme aux membres de la maisonnée. Attirée par sa bonté, Shrî Mâ allait la voir de temps à autre.
Un jour, j'allai voir Shrî Mâ quand elle logeait à Kalighat. Un fidèle la revêtit d'un sari de Dacca de premier choix. On était convenu que Shrî Mâ irait chez Jnan Babu. Je me rendis là-bas en avance, comme je savais que Mâtâjî devait s'arrêter chez quelqu'un en route. J'achetai un sari de qualité moyenne en espérant que, quand Shri Mâ arriverait chez Jnan Babu, on lui en offrirait un autre et qu'elle laisserait spontanément celui qui était de meilleure qualité et plus coûteux à l'épouse de Jnan Babu. Je ne confiai à personne mes motivations.
Shrî Mâ arriva chez Jnan Babu. Mais, à ma consternation, je réalisai qu'elle ne portait qu'un sârî très ordinaire, l'autre sârî de meilleure qualité ayant été laissé chez les gens auxquels elle venait de rendre visite en chemin. J'étais surpris, mais Shrî Mâ riait à chaque fois qu'elle me regardait. Aucun des assistants ne pouvait comprendre la signification de son rire. Je lui avouai plus tard avec quelles motivations stupides j'avais acheté le sarl.
J'ai donné ci-dessus quelques exemples du régime alimentaire extraordinairement restreint de Mâ. On peut aussi citer quelques exemples pour montrer qu'elle consommait parfois des quantités de nourriture anormalement grandes.
Après qu'elle eût quotidiennement mangé, pendant cinq ou six mois, cinquante ou soixante grammes de riz mêlé de lentilles et bouilli dans un petit récipient sur le feu sacrificiel, on décida un jour qu'elle aurait une quantité normale de nourriture. En fait, tout le monde la poussa à manger plus, et elle demanda qu'on lui apporte toute la nourriture préparée, suffisante pour huit ou neuf personnes. Elle avala le tout. Une autre fois, elle prit en souriant soixante ou soixante-dix puri, (beignets gonflés d'air) et une quantité correspondante de lentilles et de légumes, puis un grand bol de riz cuit dans du lait épais. Il y a eu aussi un exemple où elle prit du khîr, (riz bouilli dans du lait, avec du sucre et souvent de la cardamome; un des desserts favoris des Indiens) préparé à partir de quinze ou vingt litres de lait et où, après l'avoir complètement fini, elle s'exclama: " Je veux en manger plus, s'il vous plaît, donnez-moi plus de gâteau ! " Par respect d'une coutume populaire, pour éviter que le mauvais œil des gens témoins de l'événement ne cause une maladie à Mâ, on jeta quelques gouttes de ce dessert sur le sârî qui couvrait la tête. On découvrit plus tard que les gouttes, en tombant, avaient comme brûlé le tissu.
Quelques minutes après avoir pris de la nourriture en quantité anormalement importante, il y avait une expression extraordinaire sur le visage de Mâ. Elle disait alors: " Au moment de manger, je ne savais pas que j'avalais tant de nourriture; ce n'est que grâce à vous que je m'en suis aperçu. A ce momentlà, tout ce que vous auriez pu m'offrir, bon ou mauvais, même de l'herbe ou des feuilles, tout aurait été avalé. " Mais on n'observait pas de malaise physique après une telle alimentation. En outre, elle accomplissait souvent des actes étranges, comme cela lui passait par la tête, sans en subir de conséquences fâcheuses, quelque extraordinaires qu'ils aient pu sembler.
De même que des offrandes à Dieu, quand elles sont sanctifiées par des mantra, des fleurs, de la pâte de santal, etc. et consacrées avec une conviction profonde, remplissent le cœur d'un plaisir serein, de même les présents à Shrî Mâ apportent au fidèle une satisfaction, une joie immense quand ils sont offerts avec une sincérité complète. Nous avons vu qu'elle acceptait des choses aussi communes et banales que du riz gonflé ou non décortiqué, des fruits ordinaires, tout ceci comme s'il s'agissait de grands trésors. Des currys de légumes sans rien d'extraordinaire, même non salés, du riz au lait sans sucre, elle avalait tout cela avec une satisfaction intense; et d'un cœur débordant, elle invitait les gens présents à partager avec elle le plaisir de manger ces aliments. D'autre part, bien des fois, quand on portait à ses lèvres des aliments rares, précieux, difficiles à se procurer, sa bouche se fermait au premier contact.
Feu Tarak Bandhu Chakravarty, inspecteur général en retraite de l'enseignement, qui vivait à Gandaria (Dacca), fit un jour huit kilomètres à pied pour apporter à Mâ des friandises préparées à la maison à partir du lait de sa propre vache. Il arriva avant l'aube. Shri Mâ était toujours au lit. Comme un enfant impatient, le vieil homme appela: " Mâ, Mâ, je vous ai apporté des friandises préparées avec une attention toute spéciale; ne les mangerez-vous pas ? "
Mâtâjî s'assit sur son lit et, sans même s'être lavée le visage, la bouche ou les mains, elle commença immédiatement à manger les friandises des mains mêmes du vieillard. Elle en avait un tel plaisir qu'elle en battait des mains. Le visage de Tarak Bandhu était rempli de larmes de joie et de gratitude.
Un autre jour, Baby (Mme Sailabala Basu) était venue voir Mâtâjî avec des friandises qu'elle avait préparées elle-même. Alors qu'elle était encore à un kilomètre, Mâ éclata de rire et dit: " Des friandises sont en train de m'arriver. " Elle s'assit comme une enfant avide de les manger. Parfois elle s'exclamait quand quelqu'un arrivait: " Sortez ce que vous avez apporté ! " Elle exprimait son grand plaisir à recevoir les cadeaux avec nombre de plaisanteries gaies et espiègles. Par contre, les cas n'étaient pas rares où des gens avaient à attendre longtemps avec leurs offrandes sans que Mâ se souciât même de les regarder.
Une fois, j'étais alité avec une maladie sérieuse. Sans que je m'y attende, le désir passa dans mon esprit d'offrir du khîr. Quand il fut prêt, j'en goûtai quelques gouttes pour savoir s'il avait été préparé correctement. Ma sœur aînée, qui était présente, dit: " Ce qui a été goûté auparavant par des hommes ne peut être offert aux dieux. " Je répondis: "Envoyez-le lui, s'il vous plaît ". J'appris plus tard que Shri Mâ l'avait mangé en entier.
Une autre fois, je dis à mon épouse: " Voudrais-tu préparer du sati (un plat particulièrement commun) pour Mâ ? " Elle le fit, mais de mauvaise grâce, et l'envoya à Mâ. Nous avons appris par la suite que celle-ci ne l'avait même pas touché. Il est arrivé souvent que des gens perçoivent la bénédiction de Mâ au fond de leur cœur lorsqu'ils lui offraient tous leurs sentiments d'amour et de dévotion, même si c'était en silence et de loin. Par contre, il y en avait d'autres qui apportaient des masses d'offrandes, priaient et versaient des larmes pour obtenir sa grâce, et qui ne recevaient ni ses instructions ni son attention. Chacun reçoit une réponse d'elle selon la sincérité et l'intensité de sa dévotion. Ses bénédictions ne dépendent pas de quelque offrande matérielle que ce soit.
Tous les gens, religieux aussi bien qu'athées, riches ou pauvres, hommes ou femmes, même les petits enfants peuvent l'approcher librement. On l'entend souvent dire en riant: " Pourquoi vous tracassez-vous à propos des moments ou des occasions de me voir ? Ne voyez-vous pas que ma porte est toujours ouverte ? (Durant ses dernières annces, Mâ consacrant beaucoup de temps à régler les affaires de ses nombreux âshram, à donner des entretiens privés, à répondre au courrier, etc., on a été obliger de fixer des heures pour le darshan.) Bien que vous oubliiez souvent votre petite fille, à cause des attractions illusoires du monde, vous pouvez être assurés que vos soucis et vos épreuves sont toujours devant mes yeux. "
Rien n'apparaissait étrange à Shrî Mâ, qui observe toute chose sans l'aide du regard physique, qui peut lire toutes les pensées sans l'aide de ce qui est dit, qui voit et entend tout mais en même temps plane loin au-dessus, totalement détachée des affaires de ce monde et pourtant en contact vivant avec elles. Jour et nuit, sans se soucier de son état de fatigue ou de son confort, elle semble accueillir tout un chacun, qu'il soit en crise ou qu'il mène une vie sans problèmes, comme si elle l'attendait. Les gens se pressent autour d'elle depuis tôt le matin jusque tard dans la nuit. Certains lui mettent de la poudre rouge (sindur) sur le front, d'autres la peignent tandis que d'autres lui proposent de lui donner son bain, de lui laver le visage ou la bouche, ou de lui brosser les dents. Certains peuvent lui demander la permission de changer son sârî, d'autres de lui mettre dans la bouche une friandise au lait ou une tranche de fruit, d'autres encore chuchotent des prières secrètes à son oreille ou lui demandent une entrevue privée. Certains ont même l'audace de disperser la foule qui l'entoure en disant: " Je vous en prie, allez-vous en, n'importunez pas Mâ de cette façon ! "
Mais pensez à Shrî Mâ ! Elle reste assise, heure après heure, jour après jour, au beau milieu de ce chahut et de ce vacarme, avec sa manière d'être exquise et paisible. Elle reste stable et ferme, le visage débordant de gaieté, faisant face à toutes les prières et demandes diverses avec une telle bonne grâce que l'atmosphère entière semble saturée d'une joie et d'un bonheur célestes. Les cœurs des assistants ne sont pas tous attirés avec la même intensité par sa dignité, mais son regard plein de douceur et de compassion enveloppe tous les êtres humains d'une même tendresse comme les rayons dorés du soleil à l'aube. On n'a pas encore vu quelqu'un se retirer de sa présence avec un sentiment d'abattement ou de désespoir.
Shrî Mâ dit: " Ce monde créé par Dieu est constitué de deux sortes de gens, ceux qui comprennent sa nature et ceux qui ne la comprennent pas. Ceux-ci doivent se contenter des jouets qu'ils désirent. " Personne n'a été encore capable de dire: " Mâ est à moi, et pas à vous ! " Tous ceux qui ont eu la chance d'être en contact intime avec Mâ ont dû ressentir ceci: " Mâ est à moi, et à moi seulement. " Les gens lui ont ouvert le fond de leur cœur et, de ce fait, ont retrouvé une espérance et une paix nouvelles.
Comprendre le jeu (lîlâ) de Mâ est au-delà de notre pouvoir de compréhension. Il se pouvait qu'elle réponde avec une égale chaleur aux deux émotions contraires de joie à la naissance d'un fils, et de chagrin au décès d'un enfant. Nous l'avons vue ainsi pleurer avec une mère en deuil et rire joyeusement avec une personne heureuse. Elle réussissait merveilleusement la synthèse de telles émotions contradictoires. Nous l'avons vue prodiguer des paroles de consolation douces et apaisantes à ceux qui étaient dans la peine et qui imploraient ses bénédictions, tout en évitant qu'ils ne lui touchent le pied. Elle pouvait sembler tout à fait indifférente à quelqu'un qui restait un long moment prosterné à ses pieds. Un jour, une femme qui avait perdu son fils tomba aux pieds de Mâ en se lamentant tant qu'elle pouvait. Mâtâjî commença à gémir et à verser des larmes si abondantes avec la mère en deuil, à l'embrasser si étroitement que celle-ci en vint à oublier tous ses malheurs. Qui plus est, elle se sentit si concernée par les larmes de Mâ qu'elle s'exclama: " Mâ, remettez-vous, maintenant je cesserai de pleurer la mort de mon fils. "
Beaucoup parmi nous ont pu faire l'expérience d'une joie intense rien qu'à la regarder ou à toucher la poussière de ses pieds, ou bien encore à écouter la douceur de ses paroles qui provoquent un influx de pensées et de sentiments purs dans les cœurs.
Un jour, un de mes amis vint voir Shrî Mâ à ma demande; il était revenu récemment d'Angleterre avec l'esprit saturé d'idées occidentales. Il dit qu'à la vue même de Mâ lui revint en mémoire le montra qu'il avait reçu de son guru très longtemps auparavant et qu'il avait presque oublié. Il y a de très nombreux exemples qui montrent comment des gens, par le simple fait de s'asseoir à ses pieds, développent un pouvoir de concentration et de dévotion qui les rend capables d'adorer Dieu et de contempler le Divin.
Beaucoup de gens ont progressé sur le chemin spirituel en voyant en Mâ un idéal à suivre de tout leur cœur. Un jour, Mâ eut un bhâv (état spirituel) au temple de Siddhesvari. Une jeune fille de seize ou dix-sept ans fut tellement saisie de joie et d'émerveillement qu'elle embrassa Mâtâjî. Par ce contact, la jeune fille tomba en extase et roula sur le sol en répétant: " Hari, Hari! " Cet état de félicité se poursuivit pendant trois ou quatre jours. Nous avons aussi entendu dire que, par le regard de Shri Mâ ou par le simple contact de sa main, beaucoup de gens se repentaient de fautes passées et progressaient dans la vie spirituelle. Dans une grande ville de l'Uttar Pradesh, une dame très respectable, femme d'un haut dignitaire du gouvernement, vint voir Mâtâjî. Après être restée assise quelque temps à ses côtés, elle se repentit si profondément de certains péchés passés que, de retour à la maison, elle confessa tout à son mari en lui demandant de l'abattre d'un coup de feu et de mettre ainsi fin à sa conduite vicieuse. Mâ apprit cela, fit venir en même temps le mari et la femme et trouva le moyen de restaurer des relations normales dans le foyer. C'est aussi un fait bien connu que des gens qui étaient rejetés par tous comme des êtres pécheurs et méprisables pouvaient avoir un contact facile avec Mâ, et étaient amenés à abandonner leur mauvais comportement. Mâtâjî dit toujours: " Je désire tout particulièrement ces personnes qui n'ont rien pour les soutenir dans leur itinéraire vers le bien. " On connaît de multiples exemples de gens qui ont pu ressentir un appel intense vers le haut en s'abandonnant à Mâ. D'autre part, on voyait de nombreux pândit ou adeptes de la pratique des rituels qui venaient à elle pour quelques jours et qui s'en retournaient toujours aussi imbus d'eux-mêmes. Shrî Mâ dit: " Rien n'arrive avant son heure; chacun obtient ce qu'il mérite. "
Pendant les kîrtan, on a pu voir des animaux, comme des chiens ou des chèvres, se serrer tout contre le corps de Mâ, plaçant leur tête sur ses genoux ou tournant autour d'elle et mangeant le reste des friandises dispersées sur le sol après la fin du kîrtan, en les recherchant comme l'auraient fait des êtres humains. On voyait même des serpents venimeux venir ramper autour d'elle. Un jour, Girijiprasanna Sarkar remarqua un serpent dressant sa tête au-dessus de la tête de Mâ, alors qu'elle était assise au pied d'un arbre dans le parc de Siddhesvari, bien que l'espace tout autour ait été propre. Dans la maison de Niranjan Roy, un serpent a suivi Mâ dans une chambre du premier étage, malgré l'éclairage électrique de celle-ci.
Ce que dit Mâ est si universel et si attirant qu'on sent ses désirs les plus élevés exprimés dans ses paroles. Chacune des paroles qui sortent de sa bouche illumine naturellement un horizon nouveau, éternel et glorieux. Elle ne se lance pas dans des raisonnements ou des discussions élaborées; elle ne donne pas non plus d'elle-même des instructions ou des commandements à qui que ce soit. Un être obtient d'elle autant que le réclame l'intensité de son amour et de sa dévotion.
On a vu bien des fois des gens l'approcher avec leurs problèmes et, à leur grand étonnement, trouver des réponses à leurs doutes ou à leurs difficultés pendant la conversation de Mâ avec d'autres personnes. Un jour, Mâ alla à Baidyanath Dham; BrahmacHari Balânandaji lui dit: " Mâ, ouvrez-nous votre caisse au trésor. " Elle répondit: " Elle est toujours ouverte, et ce pour tout le monde. "
On a publié certaines de ses paroles dans Sad Vani ( traduit en français par jean Herbert sous le titre Aux sources de la joie, Gap, Ophrys, 1943 et Albin Michel, Spiritualités vivantes, 1996).
Durant ses entretiens quotidiens, sous forme de suggestions souriantes ou de paraboles, elle exprime des idées et des pensées la vie et la religion qui feraient un merveilleux volume de trésors spirituels si elles étaient rassemblées. Shrî Mâ utilise les petits incidents de la vie quotidienne comme moyen pour exprimer des vérités élevées et des principes du comportement humain. Diverses vérités trouvent leur expression à travers ses paroles, ses sourires, ses chants et ses hymnes, aussi bien que dans son style de vie d'une si grande douceur: par exemple, le fait que notre petite unité sociale est partie intégrante d'une grande famille de mondes puissants, que tous les êtres qui demeurent ici-bas se dirigent, à travers les tempêtes et les stress de la vie, vers le Maître infini de la création. Ce qu'elle dit est rempli d'allusions servant à nous guider dans notre vie du monde comme dans notre vie religieuse. Si nous faisons d'une seule de ses vertus l'idéal de notre existence, ce sera suffisant pour nous mener à la Réalisation du Soi. Elle semble avoir pris son corps pour le bien de l'homme, pour ceux qui ont un vif désir de progrès spirituel, pour les aider à se libérer des misères et de la détresse qui les enchaînent depuis la nuit des temps.
Le thème central de ses conversations et de ses paroles est le suivant: la vie et la religion ne font qu'un. Tout ce que vous faites pour vivre, pour votre travail, pour votre jeu quotidien, tous vos efforts pour gagner votre pain doivent être accomplis avec sincérité, amour et dévotion, avec la conviction ferme que la vie véritable consiste à se perfectionner pour s'harmoniser avec l'univers. Pour instaurer cette synthèse, la vie religieuse doit être rendue aussi aisée et naturelle que le fait de se nourrir ou de boire quand on a faim ou soif.
Mâ dit: " Acquittez-vous de vos tâches quotidiennes avec sérieux et bonne volonté, et essayez de monter sur le chemin pas à pas. Dans toutes les activités humaines, qu'il y ait un contact vivant avec le Divin et vous n'aurez pas à abandonner quoi que ce soit. De cette façon, votre travail sera accompli correctement et vous serez sur la voie pour trouver le Maître. De même qu'une mère nourrit son enfant avec tout le soin et toute l'affection possibles et lui permet de grandir et de devenir un garçon en bonne santé puis un beau jeune homme, de même vous vous rendrez compte que les touches subtiles de la Mère Divine façonnent votre vie intérieure et lui font atteindre sa pleine stature. Quel que soit le travail que vous devez exécuter, accomplissez-le avec un esprit concentré, avec toute la simplicité, le contentement et la joie dont vous êtes capables. Ainsi pourrez-vous tirer le meilleur parti de votre travail. Quand l'heure sera venue, les feuilles mortes tomberont naturellement et de nouvelles apparaîtront. "
Nous avons souvent entendu dire par Shrî Ma qu'elle était entièrement absorbée par son travail quand elle s'acquittait de ses tâches ménagères. Elle n'accordait pas la moindre attention à ses vêtements, à sa nourriture et même à son corps pendant ces périodes. Elle se consacrait totalement aux tâches qu'on lui assignait et suivait les ordres de ses aînés dans la famille avec un soin scrupuleux. Ses voisins disaient souvent: " Cette jeune mariée est complètement dépourvue de bon sens. "
Shrî Ma dit:" De même qu'il y a un horaire défini pour travailler à l'école, au bureau ou à la boutique, de même nous devons réserver pour la contemplation divine quelques minutes des vingt-quatre heures qui forment la journée, de préférence le matin ou le soir. On doit prendre la ferme résolution de consacrer sa vie durant cette petite période à Dieu. A ce moment-là, nulle activité du monde ne devrait pouvoir empiéter sur la contemplation de Dieu. On doit permettre un temps de méditation fixé à tous les membres de la famille, y compris les serviteurs. Si l'on poursuit cette pratique pendant longtemps, la contemplation divine deviendra une partie de notre nature. Une fois qu'on aura pris cette habitude, notre vie future deviendra facile. Vous ressentirez le flot de la mystérieuse Grâce divine qui nourrit toutes vos pensées et qui vous donne une force neuve... Vous bénéficiez d'une retraite ou d'une récompense après avoir travaillé dur pendant des années, et ainsi vous n'avez plus à gagner votre vie. Dans le royaume spirituel, la récompense pour un bon travail, fait sincèrement et sans trace d'ego, est bien plus grande et on peut l'obtenir plus facilement.
" Votre retraite se termine à la mort, mais la "retraite divine" continue très longtemps après celle-ci. Ceux qui accumulent de l'argent l'entassent chez eux, dans une chambre cachée, et ajoutent à cette réserve ce qu'ils peuvent mettre de côté de temps en temps; ils surveillent constamment leur trésor. De même, réservez un petit coin de votre esprit et de votre cœur pour Dieu et dérobez toujours une occasion d'ajouter à votre "réserve", sous forme de temps consacré au japa, à un travail spirituel ou à la pensée divine. "
Un jour, Shrî Mâ expliqua les diverses manières de faire pranâm à Dieu et dit: " Perdez-vous complètement quand vous vous inclinez devant Dieu avec une dévotion unifiée, et vous obtiendrez une joie et un pouvoir en proportion. Si vous ne pouvez faire autre chose, au moins, au moment réservé pour cela matin et soir, déposez votre corps, votre esprit et votre vie devant Lui avec révérence et abandon, et pensez juste un petit peu à Lui. " Elle ajoutait à ce propos: " Il y a deux sortes de pranâm: l'une est de s'offrir à lui avec son corps entier, avec son esprit et toutes ses pensées, désirs, impressions des sens, amour, affection, dévotion; c'est exactement comme vider le contenu d'une cruche qui était pleine, jusqu'à la dernière goutte. L'autre manière consiste à verser du talc par les petits trous de la boîte à poudre: la majeure partie de vos pensées et de vos désirs est retenue dans la chambre secrète de votre esprit, et vous ne laissez échapper qu'un peu de poussière. "
A l'occasion de son transfert de Dacca comme directeur général des postes, Pramatha Babu alla faire ses adieux à Shrî Mâ. Elle lui dit: " Qui salue qui? Vous vous inclinez devant votre propre Soi. " Il tressaillit de joie et d'admiration en entendant une telle remarque.
Un jour, le Pr Atal BeHari BhattacHariji tomba malade durant les vacances de Durgâ-pûjâ. Il eut le vif désir que Shrî Mâ vienne lui masser la tête, comme si elle était sa propre mère. Mâtâjî vint et lui passa les mains sur tout le corps, de la tête aux pieds. Une fois guéri, il retourna à Rajshahi, son lieu de travail. Quelques jours plus tard, on discuta de cet incident à Shahbag. J'émis l'avis que cette personne manquait de bon sens et n'était guère intelligente: " Je ne vois pas pourquoi il a demandé à Shrî Mâ de venir s'occuper de lui ainsi pendant sa maladie. " Mâtâjî n'avait pas fini d'entendre ma remarque, que son visage changea de couleur. Elle dit: " Dois-e te masser les pieds ? " Sur ces mots, elle s'avança vers moi. Je m'enfuis alors, et Mâ me poursuivit. Pitâjî intervint et la stoppa. Je me rappelle encore le visage enfantin de Shrî Mâ, rayonnant de chaleur maternelle, toujours désireuse de soigner, servir et atténuer les peines de tous ses enfants. A ce moment-là, Shashanka Mohan Mukherji s'écria: " Mâ, Mâ ! " et tomba à ses pieds.
A ce propos, Mâ a dit: " De même qu'un corps humain a différentes parties, comme la tête, les mains, les cuisses, les pieds et les doigts, je vous considère tous comme mes différentes parties. Vous appartenez tous au même corps, et chacun d'entre vous doit faire un travail d'égale importance. "
Une autre fois, feu Nirmal Chandra Chatterji, de Bénarès, offrait des fleurs aux pieds de Shrî Mâ. Juste à ce moment-là, passa un homme portant un panier de fleurs, qui allait accomplir le rituel de sa divinité d'élection dans un autre endroit. Mâtâjî ramassa les fleurs qu'on avait déposées à ses pieds et les mit dans le panier. Nirmal Babu lui ayant demandé les raisons de ce comportement, sa réponse fut: " Tout le monde n'adore qu'un seul Etre, toutes les mains et les pieds appartiennent à un seul Corps. "
Une autre fois, alors qu'elle frappait le sol avec un bâton de bambou, une mouche fut accidentellement tuée par l'un des coups. Avec beaucoup d'attention et de soin, Mâ la recueillit et la garda dans son poing fermé. Ceci se passait en présence de nombreuses personnes et la conversation se poursuivit pendant quatre ou cinq heures. Puis Shrî Mâ ouvrit le poing et me dit: " Peux-tu faire quelque chose pour le bien de cette mouche qui est passée dans l'au-delà ? " Je répondis: " J'ai entendu dire ceci: "A l'intérieur du corps de l'homme il y a un paradis." Et, disant cela, j'avalai la mouche. "
Mâtâjî se mit à rire: " Qu'as-tu fait ? Ne tombe-t-on pas malade quand on a mangé une mouche ? " Je répliquai: " Si vous le souhaitez, la mouche obtiendra une meilleur existence, et rien de fâcheux ne m'arrivera. " De fait, je ne suis pas tombé malade.
En parlant de cet incident, Shrî Mâ dit: " Les insectes, les mouches, les araignées et les êtres humains, tous appartiennent à la même famille. Personne ne peut dire qui ils étaient, ils sont ou ils seront, ni comment ils sont reliés les uns aux autres. "
J'avais un ami, musulman très pieux, feu Mavlavi Jainuddi Hossain.Il consacrait presque tout son temps à la contemplation divine. Un jeudi soir, j'allai à Shahbag en sa compagnie, ainsi qu'avec Niranjan. Le kîrtan battait son plein dans le Nâtmandap (mandap "pavillon", nom donné à des édifices religieux à colonnes, soit accolés à un sanctuaire, soit indépendants dans l'enceinte des bâtiments cultuels d'un temple).
Nous restâmes à distance sous un arbre afin de ne pas être vus de l'endroit des kîrtan. Après une demi-heure environ, nous eûmes la surprise de voir que Shrî Mâ sortait subitement de la salle avec les fidèles, qui la suivaient munis d'une lanterne. Elle s'approcha de nous à grands pas, toucha de sa main droite mon ami et continua son chemin. Nous la suivîmes. Il y avait, dans un coin de Shahbag, la tombe très bien conservée d'un saint musulman. Shrî Mâ s'y rendit et prit les postures habituelles des musulmans durant leurs prières, prononçant en même temps toutes les formules qu'ils utilisent. Mon ami musulman se joignit à elle. En revenant de là-bas, on reprit le kîrtan, et mon ami chanta aussi avec le groupe, frappa des mains et tourna répétitivement en rond. Il se trouvait que le responsable de la tombe était absent ce soir-là, et qu'il n'avait pas allumé les bougies ni offert les petits gâteaux comme d'habitude. Sur les conseils de Mâtâjî, mon ami offrit quelques batasha (sorte de bonbon préparé à partir de sucre bouilli et contenant des bulles d'air) sur la tombe et il alluma les bougies. Ayant éprouvé le désir de voir Shrî Mâ manger quelques-uns des bonbons, quand il les lui apporta sur une assiette, elle ouvrit la bouche et il en déposa quelques-uns dedans. Lui-même prit sa part de prasâd offert à la fin du kîrtan. C'était un musulman orthodoxe, mais il avait une haute notion de Shrî Mâ, et après cela il en vint à avoir un respect inébranlable pour elle.
Pour répondre à l'affectueuse demande de la veuve d'un riche musulman, Shrî Mâ dit la prière (namaz) sur cette même tombe. La veuve étant une dame instruite, elle dit qu'il y avait eu une merveilleuse correspondance entre ce que Mâtâjî avait dit et les textes sacrés utilisés durant la prière musulmane. Mâtâjî dit: " Il y a quatre ou cinq ans environ, quand j'étais à Bajitpur, je vis le corps éthérique du fakir dont la tombe était là. Après notre arrivée à Shahbag, je l'ai rencontré avec quelques uns de ses disciples. C'était un personnage robuste, d'origine arabe. " Ces affirmations ont pu être vérifiées.
Un jour, Mâ se rendit chez Rai Bahadur Jogesh Chandra Ghosh, où il y avait un kîrtan. Soudain, on la vit changer d'expression. Un jeune musulman, habillé comme un hindou, était assis à peut- être une cinquantaine de mètres de là. Mâ se fraya un passage vers lui à travers la foule et se mit à réciter: " Allah, Alla-ho-Akbar ". Le jeune homme fut ému jusqu'aux larmes et s'associa à Shrî Mâ dans la récitation des prières habituelles. Il dit par la suite: " La facilité et la clarté avec lesquelles Shrî Mâ invoque le nom d'Allan dépasse ce que nous pouvons faire de mieux. Jamais auparavant je n'ai eu autant de joie qu'en récitant le nom de Dieu en compagnie de Mâ. "
Shrî Mâ introduisit le nom du Seigneur Vishnu (Hari) dans une famille musulmane très respectable. Pendant qu'ils récitaient le nom, ils étaient émus jusqu'aux larmes. Ils avaient un grand respect pour Shrî Mâ. A ce propos, elle disait: " Hindous, musulmans et toutes les autres communautés du monde sont unes. Elles adorent toutes un Etre suprême unique et implorent sa grâce. Kîrtan et namaz (la prière musulmane) sont un et identiques. "
Shrî Kali Prasanna KusHari et son épouse, Srimati Mokshada Sundari Devi, la sœur de Pitâjî, aimaient beaucoup Mâ. Ils trouvaient grand plaisir en sa compagnie. Une fois, Shrî KusHari vint à Dacca, mais il habitait ailleurs. Il avait discuté de questions religieuses avec Shrî Mâ et était sur le point du départ. Il dit en riant: " On vous attribue un grand pouvoir; si tel est le cas, vous n'avez qu'à me brûler et me réduire en cendres. " En disant cela, il alluma quelques bâtons d'encens et partit chez lui avec les bâtons en main. Pitâjî et Mâtâjî devant aller ailleurs, tous partirent de concert. Le soleil était impitoyable. ShriîKusHari abritait Mâ de son ombrelle; ils allaient en avant. Soudain, KusHari s'exclama: " Mais d'où diable me vient cette pluie de feu sur la tête ? Me brûlez-vous pour de bon ? Je vous en prie, arrêtez ce feu ! J'ai eu une preuve amplement suffisante de votre pouvoir. " Il fut consterné de s'apercevoir qu'une partie de son ombrelle était effectivement brûlée.
Une autre fois, un monsieur déposa des fleurs aux pieds de Mâ. Elle en prit une et, en montrant ses pétales, son pollen et en faisant allusion à son parfum, elle illustra les aspects physique, astral et spirituel de la vie, et fit saisir aux gens le jeu éternel du Divin.
Shrî Mâ est toujours en déplacement d'un endroit à l'autre. Elle a dit à ce propos: " Je trouve un vaste jardin qui s'étend à l'univers entier. Toutes les plantes et les animaux, tous les êtres humains, toutes les entités supérieures jouent dans ce jardin de façons variées, chacun à son caractère unique et sa beauté. Cette présence et cette variété me procurent une grande joie. Chacun d'entre vous ajoute, avec ses caractéristiques propres, à la splendeur du jardin. Je me déplace d'un lieu à un autre à l'intérieur du même jardin. Qu'est-ce qui vous fait ressentir mon absence si durement quand je quitte votre partie du jardin pour une autre, afin d'aller réjouir vos frères qui sont là-bas ? "
Vers le milieu de l'année 1931, alors qu'elle marchait dans les prés de Ramna, Shrî Mâ dit: " La prière est une part essentielle de la pratique de la religion. Son pouvoir est irrésistible; la prière sauve la vie des êtres humains. Il est bon d'offrir à Dieu toutes les pensées et les émotions qui remontent dans votre cœur. Priez pour son aide avec beaucoup de sérieux et un esprit d'abandon. "
A cette même époque, je lus dans les journaux que Lord Irwin demanda à son père son opinion avant de venir en Inde en tant que vice-roi et gouverneur général. Le père répondit: " Ne t'inquiète pas de la suite des événements; nous n'avons pas de prise sur eux. Prie Dieu, et il se peut que tu aies quelque intuition du futur. " Le père et le fils se rendirent ensemble à l'église pour prier. Sur le chemin du retour, le père dit: " Tu devras partir en Inde. " Le fils ajouta: " Je ressens aussi la même chose. "
Lorsque Shrî Mâ entendit cela, elle dit: " C'est un bon exemple de l'efficacité de la prière. Mais on doit avoir une fois profonde, comme un enfant. Par une pratique constante, la fondation de la foi s'affermit dans le cœur, et une prière sincère en jaillit. Grâce à la dévotion, l'esprit réel de la prière s'éveille dans une âme quand la Divine Grâce se manifeste dans le résultat désiré. "
Une autre fois, Mâ a dit: " Quand vous parlez de la grâce divine (kripâ), cela sous-entend que quelque chose descend sur l'homme sans raison perceptible. Cela vient de soi-même, en son temps. Un enfant, par exemple, peut oublier sa mère parce qu'il est absorbé dans son propre jeu; mais la mère se penche vers lui avec amour et le prend sur ses genoux. C'est ainsi que la grâce divine touche quelqu'un. L'affection d'une mère se révèle avant que l'enfant ait le temps d'y penser. Vous allez certainement dire que les bénédictions sous forme de grâces divines sont les résultats des bonnes actions dans des vies antérieures. Cela peut être vrai d'un certain point de vue, mais d'un autre on peut dire qu'il ne faut pas chercher à sonder les intentions de Dieu, dans la mesure où celui-ci est absolument libre de l'enchaînement des causes et des effets. Bien que nous nous troublions souvent l'esprit pour essayer de trouver des raisons à la grâce, sa miséricorde s'étend également sur tous les êtres. Mais lorsqu'on développe une vision plus haute, on commence à sentir le contact divin. Prenez refuge en cela, et tâchez d'être toujours en contact avec Lui; vous ressentirez le libre flot de ses bénédictions sur votre âme, de même qu'un seau d'eau sort d'un puits seulement lorsqu'on tire la corde à laquelle il est attaché. "
A ce propos, on demanda à Mâ: " Une personne qui a vu Dieu peut-elle Le faire voir aux autres ? " Elle répliqua qu'on ne pouvait avoir Sa vision que quand le temps était venu. Celui qui a lui-même cette vision peut aider les autres dans ce sens seulement jusqu'à un certain point. La vision elle-même n'est possible que par la grâce de Dieu.
Une autre fois, on s'était mis à débattre à propos des vies antérieures. Shrî Mâ dit: " La renaissance est un fait. Il n'y a pas de doutes là-dessus. Quand on retire la cataracte par une intervention, la vue est rétablie. De même, par une concentration profonde sur le Divin, quand le voile qui obscurcissait la vision est ôté et l'esprit purifié et centré sur le Soi, à ce moment- là nous apparaît la signification des mantras et des divinités dont ils sont les formes sonores. De même qu'en étant à Dacca, vous pouvez avoir une représentation mentale de ce que vous avez vu à Calcutta, de même vous pouvez projeter sur votre écran mental actuel une image bien vivante de vos vies antérieures. Quand je vous vois, je peux observer en vision une série d'images de vos naissances précédentes. " Un jour, à Calcutta, Mâ reçut la visite de parents accompagnés de leur fils qui avait sept ou huit ans. En voyant l'enfant, Mâ fit remarquer: " Ce garçon a été le frère de ce corps dans sa vie précédente. " Un des frères de Mâ décéda très jeune. ll avait eu un trauma important du bras qui lui avait laissé une déformation. Le garçon dont il est question avait aussi un bras déformé.
En certaines occasions, Mâ manifeste un courage merveilleux et un tempérament impétueux. Il n'y a pas trace de peur en elle. Ce qu'elle veut ou dit doit être mis à exécution. Si on permet à ses pensées ou à ses actions de se concrétiser, sans faire obstacle ou émettre de protestations, le résultat est positif pour les gens; sinon, il est négatif. Dans ses années de jeunesse, on pouvait trouver des exemples de cette règle de manière courante.
Quand elle avait quatre ou cinq ans, elle avait l'habitude d'aller chez son arrière-grand-mère avec un pot pour rapporter du yaourt. Un jour, elle remplit le pot presque à ras bord. Cela irrita la vieille dame qui dit: " Vous mangez tellement de yaourt chaque jour ! Aujourd'hui, vous n'en aurez pas du tout ! " La vieille dame n'avait pas fini de proférer cette menace qu'elle s'aperçut, à sa grande consternation, que le pot s'était percé et que tout le yaourt se vidait par le trou. Stupéfaite, elle regarda le visage de Nirmalâ. Après cet incident, elle l'appela pour venir chercher le yaourt, même s'il se trouvait qu'elle arrivât tard.
Nous avons vu parfois la sévérité de Shrî Ma frapper les gens comme la foudre, bien qu'elle soit d'une nature aussi douce et tendre que la fleur. Un jour, elle a été si stricte envers moi, car j'avais parlé de manière irréfléchie, qu'elle me dit, comme un ordre: " Va-t-en, je ne veux plus te voir ! " Une autre fois, je lui avais désobéi et il en résulta qu'elle observa le silence pendant quelques jours. Il y eut de nombreuses occasions où j'ai eu la chance qu'elle me réprimande vivement. Si quelqu'un fait une erreur et manifeste son repentir, son regard doux et rempli de compassion répand une grâce tellement indicible que l'esprit du fautif en est bouleversé et qu'il devient pur et heureux; mais si son esprit, du fait de l'orgueil et de la colère, se cabre en entendant ses paroles, il ressent une angoisse terrible tant qu'il ne s'est pas repenti.
Une fois, Pitâjî prit ma défense, mais Ma dit: " On réprimande sévèrement ceux qui sont capables de le supporter. Si vous voulez abattre un arbre, vous devez utiliser d'abord la hache; après, on peut employer une hachette ou un couteau pour couper les rameaux et les petites branches. De même, une réprimande peut être sévère ou modérée selon les cas. "
Pour ce qui est de venir en aide à ceux qui sont malades ou en état de détresse, sa bonté se manifeste de diverses manières. Elle a dit de nombreuses fois: " Je ne fais ou ne dis rien de manière calculée, ou par un effort de volonté. Ce sont vos pensées et vos désirs qui poussent ce corps à dire ou faire certaines choses pour votre bien. Je vois souvent ce qui arrivera ou non dans l'avenir, mais les mots ne trouvent pas toujours le chemin de l'expression. "
Trop nombreux pour qu'on puisse les énumérer sont les cas où des garçons ou des filles, des hommes et des femmes ont obtenu une aide, un soulagement directement ou indirectement, dans des cas de maladie, dans leur commerce ou leur profession, dans leur examen ou leur concours, dans leur mariage, etc. Pour débarrasser les gens des maux de l'existence, Mâ s'est fait des blessures dans son propre corps, ou elle a pris sur elle les souffrances des malades. De tels cas sont innombrables. Il était également fréquent que des appels à l'aide d'étrangers, qui lui étaient transmis par des tiers, induisaient une représentation de leurs souffrances dans son esprit et ils étaient soulagés de leurs maux. Nous avons entendu Shri Mâ dire que lorsqu'elle entend une prière sincère pour transformer les malheurs de quelqu'un, celui-ci recevra de l'aide d'une manière ou d'une autre. Beaucoup de gens l'ont vue dans leur rêve et ont senti sa bénédiction dans leurs deuils ou leurs maladies.
Les parents d'une jeune fille atteinte de paralysie vinrent voir Mâ dans l'espoir d'une guérison. Elle demanda à la jeune fille de rouler sur le sol. Celle-ci ne put même pas bouger, ni se retourner. Shrî Mâ coupait en petits morceaux des noix de bétel pour le culte d'une divinité. On jeta quelques morceaux à la jeune fille en lui demandant d'étendre la main pour les attraper. Elle réussit à se saisir de quelques-uns d'entre eux avec grande difficulté. Là-dessus, la famille s'en alla. A la maison, la jeune fille était au lit. L'après-midi suivant, elle entendit le vacarme d'une voiture qui passait; tout d'un coup, elle sauta du lit et courut après. Ensuite, progressivement, elle retrouva l'usage de ses jambes.
Un jour, un coche passait sur la route de l'autre côté du terrain de Ramna. Shri Mâ me demanda de l'arrêter. Elle y monta. Le cocher, qui était un musulman, lui demanda: " Où allez-vous ? " Elle répondit immédiatement: " Chez vous. " Sans dire un mot, il la conduisit chez lui. En arrivant là-bas, on y trouva un vieil homme à l'article de la mort; la famille pleurait à son chevet. Shrî Mâ me demanda d'apporter quelques friandises qu'on distribua parmi les assistants, et elle s'en alla. Nous apprîmes par la suite que le vieil homme avait retrouvé la santé.
Shrî Mâ avait d'autres manières de soulager ceux qui souffraient. Elle demandait à un malade de fermer les yeux et d'utiliser la première chose sur laquelle il pouvait mettre la main. On s'apercevait qu'il guérissait en suivant ses instructions. Parfois, elle demandait à un patient de manger la nourriture qu'on avait préparée pour elle, tandis qu'elle mangeait le régime particulier qui lui avait été destiné. Dans des cas de fièvre ou de maladie intestinale sévère, les patients, suivant les conseils de Mâ, mangeaient des aliments considérés comme impropres par les médecins, et pourtant ils retrouvaient leur état de santé habituel en un rien de temps.
Lorsque mon fils avait quinze ou seize ans, il fut atteint de dysenterie pendant dix ou douze jours. Shrî Mâ vint le voir un soir. A partir de ce soir-là, il entra en convalescence, mais Shrî Mâ eut la dysenterie pendant quelques jours. On a aussi observé que si tel ou tel patient n'était pas destiné à se remettre, soit il enfreignait les instructions de Mâ consciemment, soit il ne réussissait pas, du fait des circonstances, à les suivre. Dans de tels cas on pouvait deviner le résultat final d'après le comportement de Mâ. D'après les Ecritures hindoues, les résultats de nos actions passées, durant cette vie ou durant des vies antérieures, ne peuvent être annulés que par un travail soutenu pendant cette existence même, avec l'aide de la grâce divine. Mais attirer cette grâce seulement par nos bonnes actions est difficile. La grâce d'un saint, inspirée par sa compassion, aide nos efforts.
Shrî Mâ dit: " Aussi longtemps que votre regard (drishti) sur la création (srishti) lui confire une objectivité, elle en aura une. Il y a conflit entre les paires d'opposés (dvandva) tant que prévalent les notions de moi et de toi, de plaisir et de douleur (sukha, dukha) ainsi que de lumière et de ténèbres. Donnez la priorité aux actions inspirées par votre vraie nature et par votre devoir essentiel (svadharma), délaissez ces actions inspirées par le sentiment de manque ou les sens: de cette manière, le Soi qui réside au dedans (antar-âtman) s'éveillera. Votre regard se fixera sur le Suprême et l'opposition entre vous et le monde sera résolue. "
Dans sa jeunesse, Shrî Mâ n'eut pas l'occasion de recevoir beaucoup d'instruction, et elle ne s'en est pas préoccupée outre mesure. Mais ce qui est étonnant, c'est que les examinateurs lui posaient des questions sur les sujets mêmes qu'elle venait de réviser. Pour cette raison, on la considérait dans la classe comme une élève brillante. Elle reconnaît elle-même que depuis son enfance, elle n'a lu aucun livre; elle n'a pas écrit non plus. Cependant, elle avait une solide base de connaissances. Elle pouvait posséder à fond ce qu'elle étudiait.
Un jour, elle s'informa: " Qu'est-ce que c'est que l'Italie ? " Peu de temps après, un professeur italien nommé Tucci (connu en France en particulier par la traduction de son livre sur les Mandalas chez Fayard) vint la voir à Shahbag. Il était venu visiter l'université de Dacca. Il une question en anglais et l'on voulut la lui traduire, mais avant qu'on l'ait fait, elle donna la réponse qu'il fallait en sanskrit.
Nous l'avons priée plusieurs fois de nous donner un spécimen de son écriture en bengali. Elle dit: " Je n'écris rien avec un but précis. Quand le moment viendra, peut-être en aurez-vous un. " Heureusement, en 193O, nous pûmes obtenir d'elle un spécimen. Le sens du texte écrit par Mâ est le suivant: " O Toi, Etre Supréme, Tu Te manifestes sous toutes les formes - I'univers avec tout ce qui est créé, I'épouse et l'époux, le père, la mère et les enfants; tout cela est un. L'esprit de l'homme est obscurci par les nuages des liens du monde, mais que cela ne soit pas une raison de désespérer: allez de l'avant avec pureté, foi inébranlable et désir ardent, et vous réaliserez votre Soi véritable. "
Il y a de nombreuses photographies de Shrî Mâ, peut-être plusieurs milliers. Le fait surprenant, c'est qu'il n'y en ait pas deux de pareilles. Parmi de nombreux autres photographes, Subodh Chandra Dasgupta, de Dacca, et Shashi Bushan Dasgupta, de Chittagong, ont pris beaucoup de clichés. En octobre 1926, Shashi Bushan vint à Dacca pendant les fêtes de Durgâ-pûja et nous allâmes avec un petit groupe prendre une photo de Mâ, un matin de bonne heure.
En arrivant là-bas, nous nous aperçûmes que personne ne savait où elle était. Nous découvrîmes enfin qu'elle était allongée dans une chambre sombre en état de samâdhi. Shashi Bushan devait quitter Dacca l'après-midi même, et il désirait donc prendre des photos de Mâ dès le matin. On fit une requête spéciale à Pitaji afin qu'il lui demande la persmission.
Avec mon aide, il prit Shrî Mâ et l'assit pour prendre la photo, pendant que nous nous retirions du champ de l'appareil. Elle était toujours dans un état d'absorption intérieure, avec une relaxation des membres et de tout le corps. Shashi Bushan pensait qu'elle avait pu bouger pendant les prises, il fit donc dix-huit clichés. Ensuite, il partit pour Chittagong. Il écrivit après cela que, parmi les dix-huit clichés, seul le dernier avait donné un bon portrait qui contenait une sorte de boule, un peu comme la lune, sur le front de Mâ; et, fait encore plus étrange, mon visage apparaissait derrière elle. Voici un extrait de la lettre que Shashi Bushan m'écrivit longtemps après:
"Au moment de prendre la photo de Mâ, je chargeais six plaques à la fois, ce qui fait qu'en trois tours j'avais utilisé dix-huit plaques. Les premières plaques ne montrèrent rien qu'une boule de lumière occupant l'espace. Les plaques suivantes firent apparaître quelques contours incertains: ce n'est que dans la dernière plaque que la forme de Mâ ressortit complètement. Vous étiez loin du champ de l'appareil, de côté, et c'est de là que vous m'avez donné le signal pour prendre la photo. Depuis le début, j'étais inquiet en prenant les clichés: j'avais le sentiment obscur que quelque chose ne tournait pas rond, ce qui me mettait très mal à l'aise: mais à la dernière plaque, je sentis la joie m'inonder le coeur. A ce moment-là, je me mis à prendre mon seul refuge aux pieds de Mâ. A l'époque, j'ai été boulversé par cet évènement."
Quand on reçut la photo à Dacca, les gens suspectèrent un truquage pendant le développement. Mais quand on parla à Ma, elle s'exprima ainsi:
" Quand ce corps était allongé, presque gelé, dans la chambre obscure, celle-ci était inondée de lumière. Quand vous avez transporté ce corps au soleil, le rayonnement était toujours là, mais il se réduisit progressivement en une boule de lumière au niveau du front. Il y avait à ce moment-là dans mon esprit l'impression que Jyotish (BhaÏji) était debout derrière moi. Maintenant, c'est à vous de juger ce qui a produit une telle photo. "