Le numéro 157 de la brochure Jay Ma est sorti, vous pouvez le retrouver sur ce site ou au format PDF.
Je vous propose cet extrait du livre "Sur la voie de la Déesse" de Aurore Gauer,
Le témoignage et l'expérience parlent bien plus que n'importe quelle intellectualisation...
Il faut le vivre pour le croire, il faut le croire pour le vivre...
On peut s'en donner les moyens, et c'est tout un trésor éternel qui semble se manifester alors... un trésor qui ne rouille pas... à la portée de tous.
Extrait sur Mâ Anandamayî
Tiré du livre d’Aurore GAUER
‘Sur la voie de la Déesse’
Il est sorti début 2024 chez ‘Mama Editions’, préfacé par Jacques Vigne.
Les aventures initiatiques d’une parisienne en Inde
(NOTE : L’auteure elle-même, Aurore Gauer, nous fait part de son désir que l’on publie le récit où elle relate sa première rencontre avec Swami Vijayânanda, avec Pushp Raj et son premier arati dans le samadhi de Mâ où elle reçut Sa grâce... Cela donnera peut-être envie aux dévots de Mâ d'entreprendre le voyage pour se rendre au samadhi de Mâ à Kankhâl ! Si des lecteurs souhaitaient d'aventure la contacter, elle donne l'autorisation de leur transmettre son email). Suite de notre précédent extrait du N° 155 :
« A la suite de Vijayânanda, j’emprunte par erreur l’entrée réservée aux hommes. Demi-tour au galop vers l’entrée des femmes. Je réprime un fou rire imaginant l’indignation des brahmanes s’ils m’avaient vue entrer dans le samadhî par la mauvaise porte. Je m’avance maintenant avec beaucoup de circonspection à l’intérieur du sanctuaire où les dévots se recueillent face au tombeau placé au cœur d’une enceinte sacrée. Des femmes en saris blancs achèvent la composition d’un magnifique mandala de fleurs sur le marbre immaculé. Je m’approche timidement de la balustrade pour déposer mes guirlandes dans la corbeille idoine. Mais avant que je puisse le faire, un homme torse- nu surgit devant moi et me retire violemment mon offrande des mains. Je risquais sans doute de la souiller en la touchant ! Bizarrement, je me sens honteuse comme un chien de rue qu’on vient de chasser. Pour me consoler je caresse les pétales d’une rose restée dans ma poche. Je viens prendre place à gauche de la salle derrière les femmes indiennes dont les têtes sont couvertes par le pan de leur sari. Plusieurs musiciens ont pénétré dans l’enceinte réservée aux brahmanes. Leurs dos et leurs épaules luisent sous la lumière d’un énorme lustre en verroterie. Contre le mur du fond, une imposante statue de marbre : Mâ assise en lotus nous fait face. Une serviette en éponge couleur de miel est posée sur ses épaules. Sa poitrine disparaît sous plusieurs épaisseurs de colliers de fleurs. Je me demande si Elle recevra le mien.
Soudain, les tambours et les cymbales se réveillent. Le vacarme déchire les tympans, laboure les entrailles. Aucune pensée ne peut résister à ce fracas. Le flux du mental semble totalement paralysé. Un homme aux longs cheveux et au corps à moitié nu s’incline devant le tombeau. D’une main, il agite une petite cloche, de l’autre, il tient une lampe à huile. Pivotant sur lui-même, il fait danser la flamme dans toutes les directions. Muscles tendus, nerfs à vif, dans une concentration extrême, il se contorsionne comme un serpent pris sous le charme d’un joueur de flûte invisible. Une pure et puissante sensualité se dégage de tous ses mouvements. Après l’offrande du feu et de l’encens, l’officiant présente des fleurs sur un morceau de tissu, une conque remplie d’eau du Gange dont il asperge l’assemblée, puis il brandit un bâton orné d’une volumineuse touffe de poils de yack avec lequel il caresse l’air. Au bout de quelques minutes, je suis totalement envoûtée par ce rituel à l’aspect chamanique. Je me laisse imprégner par le rythme obsédant des percussions et la fumée des encens, jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à l’oubli de moi-même.
La puja se poursuit par les chants dévotionnels conduits par le son plaintif et aigu d’un harmonium. Alors, pour la première fois, je parcours du regard l’espace autour de moi. Les murs du sanctuaire sont couverts par plusieurs grandes fresques. A la façon des vitraux moyenâgeux, elles évoquent les différentes étapes de la vie de la sainte : sa naissance miraculeuse, son ascèse de jeunesse, son mariage mystique, une fête où elle est vénérée comme la Déesse Dourga, et enfin son entrée en Mahasamadhî. En haut d’un mur, en face de moi, une photo discrète en noir et blanc attire mon attention. Mâ y apparaît dans un sari vaporeux se confondant avec le ciel. Est-ce le Gange ou l’océan que l’on aperçoit au-delà de la terrasse ? Ses pieds menus semblent à peine toucher le sol, tandis que deux longues et fines perches à l’arrière-plan semblent lui dessiner des ailes. Le grand âge lui donne une étrange légèreté. Ses mains sont refermées l’une contre l’autre au niveau du cœur. Quel joyau contiennent-elles ? Ce visage intemporel n’en finit pas de m’interroger. Vers quel ailleurs regarde-t-elle ? Pourquoi a-t-elle toujours ce doux sourire sur les lèvres ?
Devant Son mystère, je dépose tout : la nuit blanche dans le bus, l’aurore à Derahdun, le cauchemar près du Gange, et son nom sacré que je ne peux plus m’arrêter de réciter intérieurement… Je me demande ce qu’il peut bien m’arriver encore maintenant que je suis là à Ses pieds, entièrement à Sa merci ? N’y aurait-il rien d’autre que la magie d’un rituel ? Aurais-je fait tout ce voyage pour ne voir qu’un tombeau et qu’une statue de marbre blanc ? Serait-ce folie d’espérer un signe, un geste de Sa part ? Pour en avoir le cœur net, je fixe la statue de Mâ de toutes mes forces, jusqu’à ce que ma vision se trouble et que mes yeux me brûlent… Alors, je me mets à lui parler comme si elle était vraiment en face de moi :
« J’aurais tellement voulu Te connaître ! Maintenant que ton Nom chante en moi et qu’il a enlevé les obstacles sur la route qui me menait vers Toi, ne m’abandonne pas ! S’il est vrai que Tu viens toujours à l’appel de Tes enfants, réponds-moi, je T’en supplie ! Ton silence est plus insupportable que le vacarme des tambours et des cymbales. Je ne bougerai plus, je ne quitterai pas Ta demeure sans avoir reçu la preuve de Ton amour ! Je t’en prie, ne me laisse pas dans le doute… »
Soudain, quelque chose me fait perdre le fil de mon soliloque. Je sens une présence au fond de moi qui cherche à s’exprimer. Une deuxième voix s’affirme peu à peu au-dessus de la mienne, paisible et rieuse :
« Si tu as fait tout ce voyage jusqu’ici c'est pour comprendre que je suis partout. Ce corps est là, devant toi, mais il n’a aucune importance. L’Esprit va et vient... Où que tu sois, je serai en toi pour toujours… Alors pourquoi te tourmenter ? »
Ai-je vraiment entendu Sa voix ? Ces mots étaient-ils les Siens ?
Mon esprit dérouté s’interroge sur ce qu’il vient de capter sans l’intervention de mes sens habituels. Je suis tout simplement abasourdie. Cependant derrière mon incrédulité, il semble qu’il y ait une forme de conscience qui comprend ce qui m’arrive et s’en félicite. N’était-ce pas ce que j’attendais depuis longtemps : une preuve de l’existence du divin suffisamment convaincante pour me donner la foi et me conduire vers l’Essentiel ?
Ces paroles ont eu un effet d’apaisement immédiat sur mon mental jusque-là agité et inquiet. Totalement indifférente à ce qui se passe à l’extérieur, j’ai enfoui ma tête sous mes bras contre mes genoux et m’abandonne à un doux bercement intérieur. J’essaye de retenir encore un peu de ce sentiment d’unité et de paix que je viens de goûter pour la première fois. Cette joie fulgurante s’accompagne d’une douleur insondable. Mâ venait de me parler, ce que je n’aurais jamais pu imaginer même dans mes rêves les plus fous, mais elle m’avait renvoyée aussitôt à moi-même. Quant à sa promesse d’être toujours en moi : je ne sais pas encore ce qu’elle signifie.
Je dois ressembler à un bien triste oiseau quand Vijayânanda vient me tirer de ma prostration. La plupart des dévots ont disparu, la cérémonie est terminée. La tête lourde, je me lève en titubant. Avant de quitter le sanctuaire, je dépose discrètement au pied d’un pilier ma petite fleur froissée en lançant un dernier regard vers le tombeau. Dehors, Vijayânanda me conduit dans la boutique de l’ashram. Au milieu d’un bric-à-brac d’objets à l’effigie de la sainte et de piles de livres, je choisis rapidement quelques photographies que j’offrirai à mes amis.
Vijayânanda ne s’est jamais douté de ce qui m’arrivait à ce moment-là. J’ai gardé longtemps le silence sur cette expérience mystique qui allait profondément transformer mon être et donner à mon existence une nouvelle orientation. Les paroles de Mâ résonnent encore dans le secret de mon cœur et m’accompagnent pour l’éternité…