Sans-forme
Q : Quel est le moyen de stabiliser le mental ?
Ceux qui ne connaissent rien et n’ont pas de guru, quelle sadhanâ doivent-ils choisir ?
Comment comprendront-ils la sâdhanâ dont ils ont besoin?
Mâ : Voyez-vous, de la même manière qu’on consacre de grands efforts à apprendre à lire et écrire à de tout petits enfants, et par la suite ils deviennent très instruits, de même il faut faire effort pour enseigner cet enfant qu’est le mental.
Tout comme la nature du mental est l’instabilité, sa nature est également la stabilité. Il désire la paix autant que possible [ou “la paix réelle”, yathârtha shânti], à cause de cela, il ne la trouve pas dans aucun des objets du monde et il ne cesse de courir.
En étant vide, tu peux devenir “blanc” (shveta), ou en te dissolvant à l’intérieur de tout, tu peux aussi devenir blanc. Cette couleur est la synthèse de toutes les autres et pourtant n’a pas de forme, elle est la non-forme des formes. Pour devenir blanc, il faut être droit et direct (sidha).
Si tu t’efforces d’être blanc comme le lait à l’intérieur et à l’extérieur en t’appuyant sur la vérité et la simplicité, tu sera heureux, et tu rendras les autres heureux.
Le signe le plus direct qu’on est devenu simple et blanc, c’est quand on est détaché.
Engage-toi dans le monde en réduisant ton auto-suffisance à zéro, et tu verras comment tout concourra à te faire parvenir à la plénitude de la vacuité et rendra ton activité favorable où que tu sois, tes devoirs s’accompliront de façon idéale.
En cette époque qui pousse au matérialisme et à la consommation, on doit particulièrement se servir du détachement sacré et de la simplicité.
En réalité, la plénitude du détachement (tyaga) est un autre nom pour la plénitude de l’expérience (bhoga)
Panikkar : Quand il n'y a que le Un seulement, pourquoi y a-t-il tant de religions différentes dans le monde ?
Qu'avez-vous à dire à propos de ceux qui insistent que seulement une religion est la bonne ?
Mâ : Parce qu'Il est infini, il y a une infinité de conceptions de Lui, et une infinité de variété de chemins qui mènent à Lui.
Il est tout, quelque soit le type de croyances ou d'incroyances comme dans le cas des athées.
La croyance dans l'incroyance est aussi une croyance. Cela signifie que vous acceptez la croyance quand vous ne croyez pas.
Il est dans toutes les formes et il est le Sans forme.
Panikkar : De ce que vous avez dit je déduis que vous considérez que le Sans forme (Nirguna) est plus proche de la Vérité que Dieu avec forme (Saguna) ?
Mâ : Est-ce que la glace est autre chose que de l'eau ? Saguna est autant Lui que nirguna.
Dire qu'il y a seulement un Atma et que toutes les formes sont des illusions impliquerait que le Sans-forme est plus proche de la vérité que la forme ; mais je dis que chaque forme et le Sans-forme également sont Lui et Lui seul.
Q : A mon sens, il ne peut y avoir une vision intégrale de l'Etre suprême, au plus, nous en aurons une vision partielle...
Qu'en pensez-vous ?
Mâ : Si vous pensez que l'Etre peut se mettre en morceaux, alors vous pouvez employer le terme de "partiel ".
Mais peut-il y avoir des "parts d'Absolu" ?
Vous raisonnez en termes de parts, et vous voulez prendre "votre" part, n’est-ce pas !
Il est le Tout, Celui qui est.
Q : Mais alors, il doit bien y avoir au moins des niveaux dans la Connaissance?
Mâ : Où est la connaissance des formes du Sans Forme, il ne peut y avoir de niveau.
Aller pas à pas concerne la période où l'on cesse tout juste de courir derrière les objets, et où l'on se tourne vers l'Eternel.
Dieu n'est pas encore une évidence, mais sa quête est devenue "intéressante". Cette progression réserve des foules d'expériences...
Là où est la pensée, est fatalement l'expérience !
Les expériences traduisent les mille façons d'approcher la Connaissance Suprême.
L'esprit qui s'était d'abord empêtré dans la matérialité, affirmant que jamais on ne peut savoir si Dieu existe ou non, et qui tournait le dos à "tout cela", finalement rebrousse chemin !
N’est-il pas naturel que la lumière lui parvienne, "accommodée" à sa situation ?
Tous les états possibles et inimaginables ont un nom.
Mais les états particuliers cessent, quand le Soi est enfin reconnu !
Q : Le corps peut-il survivre à l'effondrement de notre égocentrisme ?
Mâ : Le corps est-il un obstacle à la Connaissance Suprême ?
Et d'abord la question de savoir si "le corps" existe ou non, se pose-t-elle ? A un certain stade, cette question ne se pose plus. Quand elle se pose, vous n'êtes pas établi dans l'Être Pur ; et vous attendez votre réponse !
La vraie réponse se tient là où il ne peut plus y avoir ni question ni réponse... où il n'y a plus d'"autre", plus aucune division.
Alors approcher les maîtres et recevoir leurs instructions, étudier les Ecritures, n'a plus aucun sens.
Voilà, pour un aspect de la question...
Par ailleurs, vous voyez des niveaux dans la connaissance, à la manière des niveaux universitaires sanctionnés par des diplômes, quand vous cherchez. Quand le Soi est révélé à lui-même, rien de tout ça.
Un effort personnel, la pratique de la méditation, apportent certes des fruits ; mais dans le Soi, mis en lumière, il n'y a pas de but à atteindre et pas de non-but.
Bien que ce soit, ce n'est pas.
Bien que ce ne soit pas, c'est.
Voilà !
Vous dites qu'il doit subsister un vestige de fonctionnement mental. Il est pourtant un stade où le fait qu'il subsiste ou non une trace de "mentalité" n'a plus aucun sens.
Si tant de choses peuvent être consumées, ce vestige-là ne peut-il aussi être consumé ?
Il n'y a plus ni oui ni non. Ce qui est, "est".
Méditer, contempler, est une aide tant qu'on est balloté entre acception et rejet.
Vous voulez un support, n'est-ce pas ?
Le support qui vous portera plus loin, jusque-là où il n'est plus question de support et de non-support, c'est le support sans support !
Ce que disent les mots s'"éteint".
Lui, est au-delà des mots.