En février et mai 2025, deux ouvrages ont été publiés sur les enseignements de Mâ.
Plus précisément ce sont les traductions françaises —par Ghislain Chetan— des retranscriptions de 48 satsangs enregistrés entre 1960 et 1981.

Il s'agit de la traduction française des ouvrages originaux anglais intitulés "The Gospel Of Shri Anandamayi Ma : Conversations With The Divine Mother" de Lisa Prajna Hallstrom (Auteur), Satya Pal Sharma (Traduction), Jaya Sanyal Bandyopadhaya (Traduction), publiés en 2023 en Inde par Yogi Impression.
Le volume 1 reprend les satsang entre 1960 et 1975 (cassette 07 à 39), et le volume 2 les satsang entre 1975 et 1981 (cassette 40 à 102). Chaque volume fait à peu près 500 pages.
Ces recueils sont accessibles sur ce site, avec des extraits disponibles en lecture.
On y trouve une introduction très intéressante (dont est tiré l'extrait ci-dessous) qui, je trouve, permet d'avoir une vision globale des aspects de l'enseignement de Shree Mâ Ânandamayî...
Les cinq composantes de la sâdhana
Tout au long de ce livre, vous entendrez Mâ vanter les cinq composantes de la sâdhana (pratique spirituelle) :
- la puja (adoration),
- la pâth (récitation des Écritures, telles que la Bhagavad Gita ou le Hanuman Chalisa),
- le japa (répétition d'un mantra),
- le kirtan (chant dévotionnel) et
- le satsang (rassemblement dans la Vérité ou maintien de la compagnie d'autres dévots de Dieu).
Cette formule d'une sâdhana qui prépare un chercheur à la réalisation de Dieu est assez. conventionnelle, mais Mâ met particulièrement l'accent sur la dernière composante, le satsang, ou le rassemblement dans la Vérité.
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L'importance particulière de la répétition du Nom Divin
Tout au long des satsangs, Mâ accorde une importance particulière à la répétition du Nom divin, que ce soit sous forme de japa, la répétition silencieuse du mantra, ou dans le kirtan, le chant dévotionnel du Nom divin, comme préparation à la réalisation ultime de l'Un, Dieu.
Elle nous demande de « garder nos bouches douces (sucrées) » en répétant le Nom.
Grâce au japa, au kirtan et à d'autres pratiques dévotionnelles, le chercheur grandit dans la bhakti, ou dévotion, jusqu'à ce qu'il ait une relation intime avec Dieu. Une fois immergé dans la Présence divine de Dieu, par la grâce du guru, le chercheur réalise enfin que Lui seul existe.
La signification de Sanyam et le Sanyam Saptâh
Bien que Ma Anandamayi ait montré peu d'intérêt pour les institutions établies en Son nom — écoles, hôpitaux, et même ashrams —, Elle faisait preuve d'un engagement et d'un enthousiasme particuliers pour le Sanyam Saptâh annuel, la retraite de sept jours de maîtrise de soi, instituée pour la première fois en 1952.
Le Kheyâl de Mâ, ou Volonté divine, était que les dévots se réunissent pendant sept jours pour laisser le monde derrière eux et pratiquer le sanyam (autodiscipline ou maîtrise de soi).
Cette maîtrise de soi prenait la forme d'un jeûne, à l'exception d'un repas par jour, et consistait à s'abstenir de bavarder, de fumer, de boire du thé, du café ou de l'alcool, et de se livrer à des activités sexuelles.
Quel que soit l'endroit où se déroulait la retraite, les participants, aussi riches et éminents soient-ils dans le monde, menaient une vie simple, dépourvue de tout confort. Le programme de chaque journée comprenait des exposés donnés par des mahatmas, ou grandes âmes, des kirtans, de la méditation et au moins un satsang d'une heure avec Mâ, au cours duquel Elle répondait aux questions.
Seize des 48 satsangs inclus dans ce livre eurent lieu pendant un Sanyam Saptâh. Au cours de ces satsangs, Mâ faisait souvent référence à l'importance pour les participants de ramener chez eux l'inspiration reçue lors de ces retraites, et d'instituer une journée de sanyam, ou de maîtrise de soi, au moins un jour par mois, sinon une fois par semaine, dans leur propre maison.
Elle considérait ces journées consacrées à la maîtrise de soi et à la pratique spirituelle comme la seule aumône qu'Elle demandait à Ses dévots. Il est clair que Mâ considérait ces journées de sanyam comme le fondement du progrès spirituel, en particulier pour les maîtres de maison qui pouvaient être distraits par les exigences de la vie quotidienne dans le monde.
Mâ soulignait souvent que le renoncement, ou vairagya, est un état intérieur, et non le fait de porter une robe orange et de s'appeler sannyâsin, ou renonçant.
Elle préconisait souvent un retour à la vie des rishis, des maîtres de maison/pratiquants qui considéraient leur femme comme Mahalakshmi, leurs enfants comme le Seigneur Krishna ou Kumari, et traitaient tout comme divin. Elle parlait du contraste entre une personne qui vit dans une hutte, mais qui recherche intérieurement les plaisirs du monde, et une personne qui vit dans une maison, mais qui a l'attitude d'un yogi vivant dans une hutte en forêt.
L'expansion de l'aham à l'Aham et le voyage du soi au Soi
Mâ parle souvent de la voie spirituelle comme de l'expansion du « je suis » individuel, ou aham, vers le « Je suis » divin, ou Aham.
Grâce aux pratiques prescrites par notre guru, Mâ déclare que l'on peut passer d'une personne identifiée à son soi personnel, limité et égocentrique, au Divin illimité, éternel et sans forme, ou Dieu, le Grand Je Suis.
De la même manière, Mâ parle souvent du voyage du petit soi individuel, âtmâ en sanskrit, vers le Grand Soi de tous, ou Âtmâ. Grâce à la pratique spirituelle, le voile de l'ignorance, ou âvarana, qui est associé au petit soi, conditionné par des vies d'expériences personnelles à croire qu'il est une personne séparée, est percé pour révéler notre véritable Nature en tant que l'Un, le Soi ou Âtma.
Karna vs. Hona
Tout au long de ces satsangs, Mâ parle de la différence entre « faire » des choses, et des choses « se produisant ou arrivant » d'elles-mêmes.
Elle oppose le verbe « karna», faire ou exécuter, au verbe « hona », être, se produire ou arriver. Par exemple, Elle peut parler du sannyâsa, ou renoncement, et Elle dira qu'au début, le renonçant peut effectuer un renoncement extérieur, mais que le véritable sannyâsa ne sera pas accompli tant qu'il n'y aura pas de renoncement intérieur « se produisant » ou « arrivant » spontanément.
Il en va de même pour le japa, ou la répétition du mantra, dit Mâ. Au début, le japa est mécanique. Le chercheur récite le Nom de Dieu par cœur, sans devenir Un avec Lui et sans se fondre dans Ses qualités. Ce n'est qu'en s'engageant dans la sâdhana, ou pratique spirituelle, que le mantra finira par « se produire» ou « arriver» de lui-même.
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Le Kheyâl de Ma et la Lilâ de Ma
Deux mots reviennent fréquemment à propos de Mâ: kheyâl et lilâ.
Le mot kheyâl est l'un des mots les plus intrigants, les plus énigmatiques et les plus révélateurs qu'utilisent Mâ et Ses proches pour désigner l'endroit d'où proviennent Ses actions dans le monde. Nous le traduisons généralement par « Volonté divine», mais tant les érudits que les dévots ont abondamment écrit sur sa signification.
« Lilâ » est un mot sanskrit commun à la tradition Vaisnava (vish-nouite) du Seigneur Krishna qui fait référence au mouvement du Divin en tant que Conscience dans le monde manifesté comme un « jeu ».
Richard Lannoy, dans son magnifique essai photographique sur Ma Anandamayi : Her Life and Wisdom, commence son analyse de ces deux mots par une citation de Mâ Elle-même : "Un jour, à Bajitpur, je m'étais rendu comme d'habitude à l'étang, près de la maison où nous vivions, pour mon bain quotidien.
Tout en me versant de l'eau sur la tête, le kheyâl vint à moi: « Que dirais-tu de jouer le rôle d'un sâdhaka [aspirant spirituel] ? et c'est ainsi que débuta la lilâ ».
Lannoy poursuit en citant la définition de kheyâl de l'éminent érudit et dévot de Mâ, Gopinath Kaviraj : "En règle générale, il s'agit d'une émergence psychique soudaine et inattendue, qu'il s'agisse du désir, de la volonté, de l'attention, de la mémoire ou même de la connaissance, sans aucun antécédent causal adéquat pour en expliquer l'origine. Il y a un élément de spontanéité dans l'acte.
Il peut donc sembler analogue aux espiègleries enjouées et aux caprices d'une mentalité excentrique et sans but précis. Mataji l'a emprunté et l'a utilisé dans son propre sens, en l'enrichissant de Ses propres associations. Dans le cas [de Mâ], son kheyâl semble avoir pris forme à partir des besoins de Ses « compagnons ou compagnes ».
[Et comme Ses « compagnons ou compagnes » comprennent tous les êtres sensibles, il pouvait L'emmener dans des endroits qu'aucun de Ses proches dévots n'attendait]. Une fois exprimé, on constatait qu'une concaténation (une série d'événements interconnectés peu susceptibles de se reproduire) d'événements conduisait à son accomplissement.
Le terme « lilà », le plus souvent associé aux ébats animés de kheyâla lilâ, signifie « jeu facétieux, particulièrement jeu sacré, ou jeu infiniment varié, manifestation de l'Etre suprême ».
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L'inclusivité de Ma: Toutes les voies mènent à Dieu
Dans ce livre, vous trouverez de nombreux exemples de l'aphorisme préféré de Mâ: « Il y a de nombreux chemins qui mènent au sommet de la montagne ».
Mâ honore sincèrement toutes les religions et toutes les voies spirituelles, et est prête à conseiller tout chercheur quelle que soit sa Voie. Mais plus fondamentalement, cet aphorisme est une autre façon d'exprimer la multiplicité du monde de la forme (Saguna Brahman) qui manifeste l'Un (Nirguna Brahman ou la Réalité ultime sans forme).
Tout comme il n'y a pas de différence entre la glace et l'eau, il n'y a pas de différence entre la forme et l'essence. Toute chose dans le monde manifesté est une expression de l'Un qui est le but de notre vie spirituelle. Ainsi, Mâ mettait toujours l'accent sur « l'unité transcendante de toutes les religions », comme l'exprime Richard Lannoy dans son livre Anandamayi : Her Life and Wisdom.
Le « Return Ticket» (billet de retour)
L'une des phrases que Mâ prononçait en anglais et qui ponctue souvent Ses exposés est « return ticket » (billet de retour). Pour atteindre la racine de la souffrance, selon Mâ, le chercheur doit mettre fin à son aliénation de l'Un, à son sentiment de séparation.
Pour réussir sur la voie de la réalisation de Dieu et atteindre notre vraie Nature, il faut donc laisser tomber l'ego et abandonner tous les désirs relatifs au monde.
Si en revanche, au moment de la mort, le chercheur a encore des désirs ou des attaches terrestres, il recevra un « return ticket », et reviendra vivre une autre vie.
Le ton de Mâ lorsqu'Elle utilise ces mots est souvent très léger, comme pour réprimander: « Vous ne voulez pas revenir pour souffrir à nouveau, n'est-ce pas ? ».
« Telle est votre façon de jouer, telle sera votre façon d'entendre »
Mâ répète fréquemment cet aphorisme unique : « Telle est votre façon de jouer, telle sera votre façon d'entendre ».
Cela semble être Sa façon d'exprimer qu'en tant qu'Instrument divin, Elle fournit des réponses qui reflètent l'état de la personne qui pose la question.
Il arrive souvent que quelqu'un pose une question à Mâ, et qu'Elle ne réponde que par cet aphorisme, ce qui indique que Son Kheyâl, ou Volonté divine, n'est pas « joué » correctement pour même susciter une réponse. L'extraordinaire dévote autrichienne de Mâ, Atmananda, remarque, en parlant de Mâ comme de l'Instrument divin, « Le miracle est qu'il répond même en jouant silencieusement ! »
En d'autres termes, dans certains cas, une personne peut seulement penser à une question, et Mâ parlera de ce sujet sans qu'on le lui demande.
L'habileté dans les moyens
Lorsqu'on parle du Bouddha, les gens le décrivent souvent comme possédant une « habileté dans les moyens », ce qui signifie qu'il avait la capacité de diriger l'enseignement parfait pour une personne particulière vers cette personne. Atmananda écrit, dans la préface de Words of Sri Anandamayi Ma :
" On a dit d'Elle qu'elle avait le mot juste, au bon moment, de la bonne manière, pour chaque chercheur de Vérité, qu'il soit croyant de n'importe quelle confession, ou agnostique, intellectuel ou artiste, érudit ou analphabète, débutant ou très avancé dans la voie.
Tout comme la terre fournit à chaque plante la substance nécessaire à sa croissance, Sri Ma Anandamayi guide chaque aspirant, en fonction de son caractère unique et de ses besoins à tous les instants particuliers.
Ses réponses ne sont pas le fruit d'un mental. Elle a souvent déclaré sans équivoque qu'Elle ne parle pas à « un autre ». Pour Elle, tout est l'Etre suprême unique, qui Se manifeste dans une diversité infinie, tout en étant au-delà de l'expression et de la limitation, sans forme, immuable, inconcevable. En Cela, il n'y a pas de place pour les distinctions, bien qu'elles existent à notre niveau. Les questions sont posées du point de vue de l'individu, mais la véritable réponse se trouve au-delà du mental-ego, là où il n'y a ni séparation, ni divergence d'opinion, et Sri Ma lui donne une expression ».
« Ce corps n'est qu'une petite fille »
Tout au long de ce livre, vous entendrez Mâ se référer à Elle-même comme « ce corps », ou à la troisième personne comme « Elle ». Cette pratique semble refléter l'identification complète de Mâ en tant que Purna Brahma Narâyana (l'Absolu), plutôt qu'en tant qu'être humain.
Qui plus est, en présence de mahatmas, ou grands êtres, et de pandits, ou érudits, Mâ se désigne toujours comme « ce petit enfant » ou « cette petite fille ».
S'identifier de cette façon est généralement considéré comme un signe d'humilité de Mâ. Cependant, il me semble que Mâ, en tant que Réalité ultime, est au-delà des polarités de jeune et de vieux, de parent et d'enfant, d'orgueil et d'humilité.
Là où il n'y a qu'une vision de l'Un et pas de second, l'humilité ne peut même pas se manifester: Peut-être que le fait que Mâ parle d'Elle-même de cette manière est plus une démonstration de « l'habileté dans les moyens ».
Il est clair que Mâ était incapable de s'attacher à une forme humaine ordinaire, pourtant, en S'identifiant à un petit enfant, Elle élève les mahatmas et les pandits qui l'entourent, tout en les désarmant en même temps.
L'humilité est largement considérée comme une marque de grandeur dans le monde spirituel indien. Néanmoins, toute personne en présence de Mâ, faisant l'expérience de Son immensité et de Son éclat, devait être déconcertée par l'insistance de Mâ à dire qu'Elle ne sait rien et qu'Elle n'est que leur « petite fille ». Cela eut peut-être l'effet paradoxal de servir de preuve de Sa grandeur.
La nostalgie de Dieu
Selon Mâ, la qualité première d'un chercheur qui réussira sur la voie spirituelle est une intense nostalgie de Dieu. Posséder le bon bhâva, ou attitude dévotionnelle pure et extatique, dit Mâ, est l'ingrédient principal pour atteindre le Divin. Dans le Sad Vani, Mâ est citée en ces termes :
" Voulez-vous être délivrés des liens du monde?
Alors, en pleurant abondamment, il vous faut crier du fond de votre cœur: « Délivre-moi, grande Mère du monde, délivre-moi ! ».
Pour obrenir Sa grâce, il vous faudra verser des larmes bien plus abondantes que lorsque vous désirez les choses du monde.
Lorsque, par la nourriture de vos larmes, l'intérieur et l'extérieur se seront fondus en Un seul, vous trouverez Celle que vous avez cherchée avec tant d'angoisse, plus proche que le plus proche, le souffle même de la vie, le coeur même de chaque coeur."
Puissions-nous aspirer à une telle nostalgie afin d'être délivrés à notre tour !
Jai Ma!